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01 janvier 2005

Le congrès Mondial Amazigh à Tripoli : (dés)espoirs et (dés)illusions

Vous jetez des miettes dans l'eau, les volatiles s'agitent, les
curieux s'attroupent, et, bientôt, plus rien... On peut craindre que
ce ne soit le sort des annonces du CMA à Tripoli ...

La 35ème session du Comité des droits économiques, sociaux et
culturels des Nations Unies ( CESCR ) doit se tenir du 7 au 25
Novembre 2005 à Genève. Au menu de cette session l'audition de la «
République arabe de Lybie ».

Parmi les sujets qui doivent être abordés l'article 2 relatif à la
non-discrimination des « minorités nationales » et l'article 15
relatif aux « droits culturels » des « minorités ethniques », c'est à
dire des « Imazighen », des « Touaregs » et des « Tebous ».

C'est évidement dans ce contexte qu'il convient d'analyser la très
controversée visite du président du CMA (Congrès Mondial Amazigh), M.
Belkacem Lounes, à Tripoli.

La Libye jusqu'à récemment était considérée comme un état-voyou,
pratiquant le terrorisme d'état et développant secrètement des
programmes pour s'équiper d'armes de destruction massive. La chute de
Saddam Hussein en Irak a poussé Kadhafi à un revirement à 180°. Exit
les prétentions à un leadership au sein de la Ligue Arabe. Exit les
vélleités de s'équiper de l'arme nucléaire. L'état Libyen a même «
indemnisé » les familles victimes des différents attentats terroristes
attribués à ses services secrets.

Depuis Tripoli est devenu une destination très courue par les chefs
d'Etats occidentaux, et le « leader de la révolution » a soudainement
acquis le statut de personne très fréquentable. Il reste bien quelques
pierres d'achoppement comme ces infirmières bulgares accusées d'avoir
transmit le virus du Sida à des enfants Libyens. Persiste aussi la
question des droits de l'Homme et du sort des minorités, mais ces «
détails » n'ont rien d'insurmontables.

C'est à quelques jours de l'audition de la Libye par le CESCR qu'a
très opportunément lieu la visite d'une délégation du Congrès Mondial
Amazigh. Il semblerait même que Kadhafi se serait livré à une
véritable opération de séduction.

La teneur des entretiens ente Belkacem Lounes et Mouamar Kadhafi reste
floue mais une dépêche de l'agence officielle de l'état lybien JANA
nous éclaire. Cette dépêche, intitulée sobrement « Chairman of the
World Organization for Amazigh Praising », a, dans le style coutumier
des agences officielles des républiques bananières, fait état de
compliments dithyrambiques qu'aurait fait Belkacem Lounes au « guide
de la révolution ». Nous y retrouvons toute la propagande standard du
nationalisme arabe, avec ses thèmes habituels : le complot de
l'étranger, l'ennemi intérieur. Ainsi la dépêche insiste fortement sur
les positions « anticolonialistes » et « anti-impérialistes » du «
leader ». Toujours selon l'agence JANA, Belkacem Lounes aurait «
condamné toutes tentatives d'instrumentalisation de la question
Amazigh par l'étranger », ainsi que « toute tentative de
désintégration » de l'Afrique du Nord.

Pour sa part, le CMA dans un communiqué, daté du 7/11/2005, déclare
que « M. Kadhafi se dit favorable aux droits des Amazighs », que « la
langue amazighe, langue de la Libye, sera reconnue et enseignée » et
enfin qu' « Un décret a déjà été publié dans ce sens pour le parler
Tamacheq, et un autre devrait suivre concernant l'amazigh des régions
de Nefoussa et de Zwara ».

Cette rencontre Kadhafi-Belkacem laisse pourtant les militants
Amazighs plutôt dubitatifs dans l'ensemble. Certains font référence
aux pogroms lors des « premières années du pouvoir de Kadhafi » : des
témoins déclarent « avoir vu [de leurs propres] yeux des camions
chargés d'Imazighen de l'Adrar n Infusen transférés dans des endroits
inconnus pour être très vraisemblablement exécutes ». D'autres ont
encore en mémoire la promesse faite par Kadhafi, la bouche en cœur,
aux Touaregs du Niger-Mali de créer un état touareg en Libye : Les
Touaregs après un séjour dans des camps d'entrainement se sont
retrouvés à combattre ... en Palestine et au Liban. En bref, la danse
du ventre de Kadhafi n'a pas convaincu grand monde.

En réponse à ce scepticisme ambiant, le Congrès Mondial Amazigh
affirme que « Kadhafi a fait beaucoup de mal aux Imazighen de Libye,
c'est un fait incontestable autant qu'inacceptable, mais à notre
connaissance il ne les a pas gazés. On ne peut donc le comparer ni à
Saddam qui a gazé les Kurdes et encore moins à Hitler » et que « c'est
une insulte gratuite de dire du Président du CMA qu'il est allé à
Tripoli pour "cautionner la politique totalitaire de Kadhafi" et
encore moins le féliciter ».

Qu'on nous permette d'attendre pour juger sur pièces et voir si cette
pluie d'effets d'annonce n'est pas un nouvel avatar de la politique du
pain aux canards : vous jetez des miettes dans l'eau, les volatiles
s'agitent, les curieux s'attroupent, et, bientôt, l'onde se referme.

Les Chroniques du [CyberKabyle].