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16 mars 2005

La place du Berbère dans l’éducation nationale en France

L’école publique en France est laïque, elle est la même pour tous. Ce discours, lors même qu’il recouvre des contenus différents selon les courants politiques qui le proclament, est défendu par un grand nombre de français y compris et peut-être surtout par les berberes qui aiment bien se réclamer de la République.

C’est un discours qui fait la fierté de quelques-uns et sert très souvent d’arguments idéologiques dans certains débats particulièrement sur l’Islam ou l’immigration. Pourtant, à bien y regarder de près, l’égalité pour tous dont l’école républicaine est affublée ne correspond pas toujours à toutes les réalités du terrain. L’échec scolaire demeure important chez les enfants dont les parents viennent de l’étranger notamment des ex-colonies françaises. Et lorsque la réussite s’avère quand même possible, l’échec se déplace immanquablement vers l’accès à l’emploi. Cet échec alimente la désillusion par rapport à l’idée d’ascension sociale par l’école. La boucle est bouclée !

Le débat n’est pas nouveau, il vient de ressortir autour des actions de contestation sur la réforme Fillon. A force d’enquêtes, de travaux divers, de reportages, l’échec scolaire est considéré, aujourd’hui, comme une donnée factuelle, c’est à dire peu contesté. Les causes sont évidemment multiples et les conséquences le sont également.

Cet échec vient, entre autres, d’une certaine marginalisation des enfants de migrants dont le savoir parental est disqualifié par l’école qui valorise les savoirs académiques ou les savoirs franco-français et dans une certaine mesure ceux liés aux cultures de certains Etats.

Enfants d’origine berbère

Qu’en est-il des enfants dont les cultures sont minorées aussi bien dans leur pays d’origine que dans leur pays d’adoption ? C’est le cas des enfants de parents berbères (Kabyles, Rifains, Chleuhs, Chaouis...) dont la langue est jusque là exclue de l’école de la République. Ces enfants dont l’héritage linguistique et culturel est repoussé vers la cellule familiale qui n’a pas toujours les moyens de le valoriser, se sentent souvent rejetés et adoptent alors parfois des comportements inappropriés aussi bien à l’école que dans les cités.

Coupé de sa langue parentale donc de la transmission généalogique de sa culture, l’enfant berbère est invité à faire sien l’ersatz de culture officielle (des pays d’origine) que l’éducation nationale lui propose du fait des conventions bilatérales entre la France et les pays d’Afrique du Nord.

On remarque alors la tendance de certains de ces enfants à s’orienter, à un moment ou un autre, vers l’Islam médiatique avec les formes extrémistes que cela peut revêtir. Les parents ont beau être laïcs ou tout simplement pieux, les enfants restent exclus, fragilisés, menacés, doutent d’eux-mêmes et se tournent vers un Islam zélé qui peut, à leurs yeux, leur assurer une appartenance solide, en tout cas une appartenance reconnue.

La nomination d’un coordinateur.

C’est à partir de ces constats que des générations de militants, d’acteurs associatifs, d’universitaires (majoritairement kabyles) ont mis la pression sur les pouvoirs publics pour que l’Education Nationale prenne en compte l’enseignement du berbère et donne, du coup, des repères identitaires positifs dont ces enfants ont besoin. Quelles que soient les arrières pensées politiciennes possibles, un début de réponse est enfin venu. D’abord du côté d’Alger qui a mis en place un enseignement au centre culturel algérien avec comme ambition d’irriguer (ou de récupérer) les associations qui activent autour de cette question.

Puis une décision du Ministère de l’Education Nationale est également tombée par l’intermédiaire de la DESCO auprès de laquelle est nommé Hocine SADI (professeur de mathématiques et berbérisant) comme chargé de mission pour coordonner un début d’enseignement du berbère autour du lycée Lavoisier à Paris conformément aux engagements pris par Jean-françois COPE, porte-parole du gouvernement lors de la dernière compagne des régionales. Sur ce, une réaction très forte est venue du professeur Salem CHAKER (INALCO) irrité par cette nomination faite en dehors de lui et peut-être contre lui. En tous les cas un certains nombre de personnes l’ont vécu de cette manière. Leur argument essentiel, en résumé, est que l’INALCO qui a assuré, avec peu de moyens depuis une dizaine d’année l’organisation et la correction des épreuves du Bac, est marginalisée alors qu’elle aurait pu être associée à cette décision des pouvoirs publics. S. CHAKER a en effet entretenu une correspondance permanente avec les institutionnels et hommes politiques à ce sujet en leur faisant parvenir régulièrement des rapports scientifiques et sociolinguistiques sur le travail accompli et sur les revendications qui restent à satisfaire. Devant cette réaction, il s’en est suivi une vive polémique et les milieux kabyles ou proches d’eux sont sensés prendre position pour l’un ou l’autre de ces acteurs (voir le Monde des 15 février et 7 mars 2005 et les sites Internet correspondants) .

Une humiliation de plus, voire une punition collective

Pour « apaiser » ce climat de surchauffe, les pouvoirs publics n’ont rien trouvé de mieux que de supprimer la mission ! C’est bien connu, il faut casser le thermomètre pour ne pas voir la fièvre monter ! Ce n’est pas sérieux, c’est même discriminatoire. Je connais bien les deux hommes et je sais combien chacun d’eux est brillant dans son domaine. Au lieu de jeter de l’huile sur le feu, on serait bien inspiré de chercher à trouver un terrain de négociation. La suppression de la mission, si elle se confirmait, serait une humiliation de plus pour ces acteurs de premier rang, un déni identitaire pour la communauté berbère et une opération anti-pédagogique désastreuse pour les élèves qui attendaient un soutien pour les épreuves d’un Bac qui se prépare dans une agitation générale.

Si les pouvoirs publics considèrent cette question du point de vue de l’égalité des chances des élèves devant la réussite scolaire et du point de vue de la lutte contre les discriminations, alors il leur est possible de servir de médiateur. Ils l’ont fait pour des Islamistes du Conseil des Musulmans de France dont les horizons politiques étaient autrement plus éloignés les uns des autres et dont les objectifs ne sont pas tous avoués. L’enjeu, en ce qui nous concerne, est de réduire le fossé entre l’école et la famille, les deux institutions qui s’occupent de l’élève. En effet, trouver des voies pour une complémentarité créative entre les deux espaces (l’enseignement de la langue parentale en est une), c’est sortir des clichés qui voudraient que le monde des parents et celui de l’école républicaine seraient forcément opposés. C’est à ce prix que l’élève peut construire son équilibre avec une bonne estime de soi sans laquelle la relation à l’école, à l’apprentissage et à la République serait difficile. Alors il reste une seule chose : agir vite et bien dans l’esprit d’ouverture et de compréhension et éviter la punition collective !

Par Hacène HIRECHE:

• Chargé de cours de langue et de civilisation berbères (Université Paris 8)

• Coordinateur pédagogique d’actions linguistiques (Cara-Développement)

• Consultant en communication interculturelle et en management des ress. humaines



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