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21 janvier 2006

Livre: de la question berbère au dilemme kabyle

Selon Maxime Aït Kaki, la problématique berbère en Afrique du Nord est une sorte d’objet non identifié. La montée en puissance de l’islamisme a presque fait oublier aux observateurs qu’un autre phénomène est à l’oeuvre : la revendication culturelle et linguistique des berbérophones. Cette population de 20 millions de personnes, principalement des Marocains et des Algériens, aspire à sortir de la marginalité.

Un contexte favorable

La réflexion sur les problèmatiques nationalitaires n’a pas le vent en poupe. Reléguée au second plan après la Seconde guerre mondiale et pendant la guerre froide, elle a refait surface après la chute du mur de Berlin en 1989. Mais, en Occident, les revendications identitaires sont regardées avec suspicion et sont souvent perçues comme porteuses de guerre et de rejet de l’autre. Les atrocités des deux guerres mondiales ont jeté un voile trouble sur le nationalisme au sens large. Le discours alarmiste sur les identités oublie le rôle libérateur joué par les mouvements nationalistes, au XIXème siècle en Europe centrale ou au cours de la décolonisation, par exemple. « Le nationalisme reste un élément libérateur à condition qu’il ne dégénère pas en un mouvement violent » estime Maxime Aït Kaki, qui cite l’exemple de Gandhi, nationaliste indien et pacificiste.

Par-delà le berbérisme

Dans La Question berbère ou le dilemme kabyle, Maxime Aït Kaki déconstruit le panberbérisme (qui fait référence à une entité berbère allant du Maroc au désert égyptien et de la Méditerranée au Sahel). Le livre, élaboré à partir d’une thèse soutenue en 2002 à la Sorbonne renouvelle l’approche de la question identitaire amazighe. Pour l’auteur, ce discours, développé à partir des années 1960, en particulier par l’Académie berbère de Mohand Bessaoud, présente quelques symptômes comparables à ceux du panarabisme : la tentation de gommer les différences sociales, linguistiques et culturelles entre des populations différentes. « Il [le berbérisme] est un discours essentialiste romantique, similaire au nationalisme pan-germanique du XIXème siècle, et il devient vite normatif. La réalité est autre, multiple, complexe. Le berbérisme envisage une grande oumma berbère, un peu sur le modèle de la oumma arabe. »

Du reste, depuis la fin des années 1980, les Etats marocain et algérien ont largement récupéré à leur compte les revendications berbères « pour les noyer dans la masse », en reprenant les arguments du berbérisme, notamment le fameux "Nous sommes tous des berbères". Si les Etats maghrébins reconnaissent que tous les Nord-africains sont des Berbères, il ne reste plus rien à revendiquer, dans l’optique berbériste. C’est une manière pour ces Etats de couper l’herbe sous le pied de la revendication identitaire. Dernier en date, le numéro un libyen, Mouamar Kadhafi vient de recevoir une délégation du Congrès mondial amazigh (CMA). L’homme fort de Tripoli, a officiellement quitté la Ligue arabe, mais le vrai nom de son pays reste « Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste ». Tout est dit.

Les réactions du public ne tardent pas à venir : « Il est vrai que les Kabyles ont fait un long détour avant de commencer à prendre conscience de leur spécificité. Cependant, le berbérisme n’était-il pas un passage obligé ? Grâce aux berbéristes nous savons que nous appartenons à un ensemble beaucoup plus large. De plus ne peut-on pas envisager une identité à plusieurs niveaux : kabyle, amazigh... jusqu’à citoyen du monde ? » demande l’anthropologue Nedjima Plantade. « Sans l’Académie berbère, on ne connaîtrait pas le terme amazigh, ce sont eux qui ont forgé cette identité » explique Maxime Aït Kaki. Le travail de ces intellectuels : Mouloud Mammeri, Mohand Arav Bessaoud, Taos Amrouche... a permis de mobiliser l’opinion. Reste que le message de déconstruction de cette idéologie est encore difficile à entendre, notamment pour la génération impliquée dans la guerre d’indépendance et qui aura à « se déjuger », se remettre en cause, selon les mots du conférencier. L’universitaire et traducteur Yalla Seddiki, affirme que les mythes fondateurs redécouverts par les berbéristes (Massinissa, Jugurtha, Koceila...) ont été d’une grande utilité dans la formation d’une conscience identitaire en Kabylie et chez les autres Imazighen. Maxime Ait Kaki rétorque que les Kabyles adhéreraient peut-être davantage à des mythes fondateurs proprement kabyles (il cite Llalla Fadma N Summer) qu’à ceux de l’antiquité numide.

La stratégie d’évitement

Car cette problématique qui est devenue nord africaine cache en fait une question liée à la Kabylie. La plus importante région berbérophone d’Algérie s’est retrouvée hors-jeu à l’indépendance du pays. Disqualifiés après la révolte du FFS de 1963, les Kabyles se retrouvent suspects, isolés politiquement. D’un côté, la majorité a choisi de se couler dans le moule : adopter des valeurs arabo-islamistes, de l’autre un courant qui tente de se trouver des alliés berbères dans les autres régions et dans les pays voisins.

Quel avenir pour la Kabylie ? Laisser cette entité culturelle se diluer et la langue se créoliser en intégrant de plus en plus de mots arabes ? La tendance actuelle est à une accélération de l’arabisation et à la démobilisation. « On est dans une stratégie d’évitement du fait sociologique kabyle » explique Maxime Aït Kaki. Interrogé au sujet du concept d’autonomie de la Kabylie, le conférencier exprime ses doutes : « L’autonomie est un concept mou, au contenu flou, en perpétuelle renégociation. Dans chaque pays où il est appliqué le concept d’autonomie recouvre des choses différentes. De plus, il me semble étrange de demander une autonomie pour la Kabylie qui ne ferait d’elle qu’un sous-ensemble de l’Algérie qui resterait un pays arabo-musulman -une revendication autonomiste est vouée à l’échec si elle ne participe pas d’une aspiration réelle à la souveraineté-mais quoiqu’il en soit, en l’état actuel de démobilisation générale de l’opinion kabyle, je ne vois pas comment aucun de ces concepts souverainistes pourrait aboutir. » Et d’ajouter : « Tant qu’il n’y a pas d’adhésion volontaire à ce principe, on débouchera toujours sur cette impossibilité à exister... C’est un travail de remobilisation permanente ». Certains vont avoir du pain sur la planche.

Maxime Aït Kaki : La question berbère ou le dilemme kabyle à l’aube du XXIème siècle, Editions L’harmattan, 2004



Les Chroniques du [CyberKabyle].

10 janvier 2006

Après les éléctions locales en Kabylie : Combat de titans dans un bac à sable

La désaffection pour les partis politiques à « base kabyle » n’est donc pas un phénomène nouveau, mais une tendance lourde qui date de plusieurs années et qui va en s’accentuant ... Ces partis le savent. Depuis ces élections locales, ils se taisent. On pourrait croire qu’ils se sont cloîtrés pour réfléchir, pour méditer sur de nouvelles stratégies, de nouveaux projets. Rien de tel. Ils se taisent parce qu’ils n’ont rien à dire, rien à proposer, rien à réformer.

En Kabylie, les lois de la physique et autres sciences dites exactes, qui font la joie de générations d’étudiants et des gens normaux, ne s’appliquent pas. Chez nous, ce sont la sorcellerie, le maraboutage et l’irrationnel qui règnent en maitre. Vous vous croyez à la pointe de la modernité en vous promenant dans le Djurdjura ou la Soummam avec votre portable dernier cri Ericsson™ ou Nokia™ offert avec votre abonnement Djezzy™ ... mais en réalité vous nagez encore en plein Moyen-Âge. Même les journaux supposément rationnels regorgent des échos de légendes, pleines de preux chevaliers ayant juré de s’opposer aux méchants diaboliques de la DRS™ et autres forces obscures issus de l’enfer qui cherchent à pousser la Kabylie dans une aventure ... heu ... aventureuse.

Dans cette contrée où le téléphone arabe dame encore le pion à Nokia™ ... un parti qui ne récolte que 12 % des suffrages de l’électorat (soit 40 % des 30 % de participants) ... s’autocongratule, s’autofélicite ... et l’agence Associated Press peut déclarer en toute bonne conscience que « le FFS demeure la première force politique de la région ». Première selon les mathématiques hasardeuses de la politique algéro-kabyle certes, mais obligée toutefois de nouer, une fois les grands discours passés, des alliances arithmétiques avec des forces politiques (pourtant soi-disant « obscures ») comme le FLN™.

Alliances arithmétiques, mathématiques, sciences exactes .... Voilà où je voulais en venir ... au départ.








Analysons arithmétiquement ce "combats de titans" qui a eu lieu en Kabylie lors des élections partielles du 24 Novembre 2005 et qui y a opposé les différentes forces politiques. Comme l’illustre le graphique la première force politique en Kabylie est en réalité constituée par les abstentionnistes. Cela concerne quasiment à égalité les deux principaux départements de Kabylie, que ce soit Tizi-Ouzou ou Bgayet. La presse "indépendante" d’Alger a souligné cette forte abstention comme s’il s’agissait d’un phénomène nouveau.

En réalité, il faut rappeler que, déjà en 2002, le Professeur Hugh Roberts, lors de la parution du rapport de l’International Crisis Group sur les événements de Kabylie, faisait remarquer que « les deux premiers partis de la région ont perdu beaucoup de terrain. Il faut signaler qu’en 1997 déjà, le FFS et RCD se sont partagé tous les sièges de la wilaya de Tizi-ouzou avec moins de 50 % de l’électorat kabyle. C’était donc un début de désaffection. »

Le Professeur Roberts n’est pas le seul à faire cette analyse. Avant lui, dès 2001, le Professeur Salem Chaker affirmait la même chose dans son texte « Plus qu’une suggestion, une nécessité » : « Le cas des partis politiques « kabyles » - écrivait-il- est particulièrement révélateur, presque caricatural : en refusant obstinément de se poser comme forces représentatives de la région qui les porte et en s’affirmant, contre toute évidence, « partis nationaux », ils ont fini par perdre une grande partie de leur crédit auprès de leur base sociale réelle qui ne se reconnaît plus en eux. »

Mais il faut poser la question : pourquoi ce recul persistant de l’audience des deux partis politiques sociologiquement « kabyles » que sont le FFS™ et le RCD™ ? Selon le Professeur Roberts, « la raison principale en est que les partis politiques ne pouvaient espérer obtenir grand-chose tant que les assemblées dont ils se disputaient les sièges sont restées sans pouvoirs réels. Ce qui est étonnant, c’est que les partis eux-mêmes n’ont pas vraiment soulevé ce problème fondamental. »

Cette désaffection pour les partis politiques à « base kabyle » n’est donc pas un phénomène nouveau, mais une tendance lourde qui date de plusieurs années et qui va en s’accentuant ... Ces partis le savent. Depuis ces élections locales, ils se taisent. On pourrait croire qu’ils se sont cloîtrés pour réfléchir, pour méditer sur de nouvelles stratégies, de nouveaux projets. Rien de tel. Ils se taisent parce qu’ils n’ont rien à dire, rien à proposer, rien à réformer. Les « aarchs » avaient raison : Les partis ne servent à rien.

L’avenir pourrait passer par une revitalisation du champ politique kabyle, la libre concurrence favorisant, on le sait, une meilleure qualité globale de l’offre. L’arrivée de nouveaux partis permettrait notamment une sortie par le haut de la haine stérile que se vouent le FFS™ et le RCD™ et qui bloque tout le paysage politique régional, le FFS™ préférant même s’allier au « diable » (en l’occurrence le FLN™) plutôt que de dépendre du soutien de son frère ennemi RCD™.

Mais les nouveaux entrants ne convainquent guère pour l’instant : l’UDR™, parti présentant un cocktail inédit de réformisme radical (fédéralisme, libéralisme économique) et d’« à-plat-ventrisme » intégral vis-à-vis du président Bouteflika, n’a même pas obtenu son accréditation et est de toute façon victime de l’étiquette « Kabyle de service » que semble lui avoir collé la population. Quant au « Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie », il n’a - pour le moment - jamais réussi à fédérer autour de lui un mouvement populaire d’une quelconque importance et semble se contenter d’une stratégie déclamatoire et incantatoire, en n’intervenant dans le débat politique qu’à coups de communiqués de presse. De toute manière, il est inutile que le MAK demande son accréditation : selon les lois de l’Algérie démocratique et populaire, tout mouvement politique basé sur une identité régionale est interdit.

Bref, côté partis politiques, on trouve surtout de beaux mythes : mis à part deux ou trois tours pendables, assez pitoyables en comparaison des bonnes blagues de potaches, les partis n’ont jamais rien fait de spectaculaire.

Alors... pas de Sécurité Militaire, pas de coup d’état scientifique, pas de laboratoire de la DRS, pas de combat titanesque du Bien contre le Mal. Rien. Ulac. Ou si peu...

En d’autres termes, la Kabylie restera longtemps coincée dans ce « combat de titans » entre les deux inutiles du FFS™ et du RCD™.



La Chronique du [CyberKabyle].