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08 juin 2013

La thèse farfelue du "la rébellion touareg au Mali serait un dégât collatéral de la crise libyenne"


Depuis le début de la rébellion Touarègue du MNLA dans l'Azawad, de nombreux "chefs d'états" affirment qu'elle est la conséquence de la crise Libyenne. Qu'elle n'en serait qu'un "dégât collatéral".  Que la série de victoires des rebelles seraient dues aux armements provenant des les arsenaux libyens.

Cet argument à été développé en long en large et en travers par différents "chefs d'états" et "certains journalistes".

C'est le cas du président du Niger, Mahamadou Issoufou, dans un article du Monde daté du 14 février 2012 qui affirme:

Après la défaite de Kadhafi, un certain nombre de ses soldats ont fui la Libye pour s'installer dans le Sahel. Au Niger, notre position a été ferme dès le début. D'accord pour accueillir tout le monde, sauf des hommes armés. Seul l'Etat doit avoir le monopole de la force. Donc, les hommes devaient rendre les armes sinon nous les combattions. C'est ce qu'on a fait et ils n'ont pas pu prendre pied au Niger. Malheureusement, ils sont allés au Mali, par petits groupes, d'abord. Puis c'est devenu un grand groupe de 400 à 500 combattants lourdement armés. Les pays du Sahel, Mali et Niger notamment, ont connu des rébellions récurrentes depuis le début des années 1990. La crise libyenne a catalysé les velléités de rébellion et d'indépendance, ou au moins d'autonomie, de l'Azawad (au Mali). Rébellion ouverte à partir du 17 janvier.

 Plus récemment, c'est le président dictateur du tchad, Idriss Déby, qui affirme dans un article du Figaro daté du 7 juin 2013, que :

Je crois que la situation actuelle au Sahel ne doit pas être une surprise pour qui que ce soit. Dès le départ de la guerre en Libye, nous savions que les conséquences seraient dramatiques pour les pays voisins, mais aussi pour la Libye elle-même. Nos craintes étaient tirées de notre connaissance des hommes, de la culture, de l'organisation sociale de ce pays. C'est pour ça que j'avais demandé, en son temps, une formule qui puisse permettre de faire partir Kadhafi tout en permettant aux Libyens de se réconcilier et de mettre en place des institutions. Cela a été pris pour le plaidoyer d'un ami de Kadhafi. Mais je savais les conséquences de cette guerre. Personne ne s'est préparé.
Évidement, dans les deux cas, les analyses font l'impasse sur la situation, politique, économie et sociale dans l'Azawad. En quelques sorte tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes avant la chute de Khadafi. la crise malienne serait due à l'inconséquence de la décision du président français, Nicolas Sarkozy, d'intervenir en Libye.

Mais en réalité quelle était la situation économique, sociale et politique dans l'Azawad ? La revue géopolitique Diploweb nous donne quelques éléments de reponses dans un article daté du 23 septembre 2013 intitulé "Mali un état failli ?" :

De ce fait, les deux-tiers nord du Mali échappent depuis longtemps au contrôle effectif de Bamako. D’autant que les guerriers du sud perdent beaucoup de leur efficacité dans un milieu auquel ils ne sont pas habitués. D’où le recours à des supplétifs recrutés localement, parmi les Arabes ou d’anciens rebelles touaregs, par exemple. Avec les risques de défection et/ou de double-jeu que cela comporte.

Pauvre, l’État malien est dirigé par des sudistes, peu voire pas du tout attachés au nord. De plus, les habitants du tiers sud ne sont guère attirés par ces contrées inhospitalières. La faible motivation et l’absence de moyens se conjuguent pour inciter les autorités à se détourner de la région afin de concentrer leurs efforts dans la région considérée comme “utile“ et où réside la majeure partie (90%) de la population. Obstacle important au développement, le problème de l’enclavement se pose dans toutes les régions du pays. Les sudistes, conformément à leur penchant et aux attentes de nombreux Maliens, ne donnent pas la priorité à l’aménagement du nord. Ce choix en pérennise l’isolement et accroît encore les difficultés pour le contrôler.
La pauvreté débouche sur une corruption importante d’une partie des responsables politiques comme des cadres civils et militaires. Les profits retirés de la complicité avec les trafiquants de toutes sortes, voire avec les preneurs d’otages d’Al Qaida, incitent donc certains dirigeants et fonctionnaires à perpétuer l’absence d’État de droit dans la région. Cela contribue à ce que le contrôle du territoire échappe largement aux autorités légales. En admettant qu’elle n’ait pas fait l’objet de détournements, l’aide dispensée par les Occidentaux pour la lutte contre le narcotrafic et le terrorisme n’a pas suffi pour inverser cette situation.
En outre, les habitants (1 300 000) de l’Azawad ne sont pas tous Touaregs. Il s’y trouve, notamment, des Maures, des Arabes (majoritaires à Tombouctou), des Songhaï (majoritaires à Gao) ainsi que des Peul. Ils ne manifestent nulle appétence pour l’État touareg et certains se seraient engagés dans le groupe du colonel Ag Gamou. De plus, les Arabes de Tombouctou sont organisés en milices créées par l’ex-président Touré pour lutter contre AQMI. Certains observateurs assurent qu’elles comptent dans leurs rangs des hommes de main contrôlés par des marchands liés au trafic de drogue et qu’elles pourraient faire le coup de feu contre les indépendantistes. L’écheveau des intérêts, des allégeances et des alliances s’avère donc des plus complexes et la faiblesse insigne de l’État malien n’arrange rien, d’autant que certains de ses représentants en tirent profit. 


En novembre 2009, un Boeing 727 parti du Venezuela atterrissait à Tarkint, une localité proche de Gao, dans le nord est du Mali. Il transportait entre cinq et neuf tonnes de cocaïne, qui ne furent jamais retrouvées. Après son déchargement, puis un décollage raté, l’avion fut incendié. L’enquête a révélé qu’une famille libanaise et un homme d’affaires mauritanien ayant fait fortune dans le commerce de diamants angolais figuraient parmi les commanditaires.

Comment un appareil de cette envergure, mais aussi d’autres plus modestes, et de telles quantités de cocaïne ont-ils pu transiter dans une région certes désertique, mais peuplée et administrée ? Selon un analyste politique français spécialiste du Sahel désireux de garder l’anonymat, un ministre et de hauts dignitaires de l’armée et des services de renseignement, proches de l’ancien président Amadou Toumani Touré (« ATT »), ainsi que certains députés originaires du nord du pays, sont impliqués. «C’est le sujet sensible. On touche au cœur du pouvoir, lâche notre informateur. A la fin du régime d’ATT, des officiers supérieurs de l’armée malienne et des renseignements liés à ces trafics étaient totalement délégitimés. C’est l’une des raisons pour lesquelles des hommes de troupe et des officiers subalternes ont participé au coup d’Etat de mars 2012. Les hauts gradés possédaient un parc automobile qu’ils n’auraient pas pu se payer même en détournant tout le budget de l’armée.»
Chercheur français spécialiste du Sahel, Simon Julien, a détaillé la concurrence que se livraient dans le nord du Mali, avant 2012, certaines populations ayant accès à la rente et d’autres qui en étaient privées. En finançant généreusement, grâce à l’argent de la drogue, plusieurs groupes opposés aux Touaregs ifoghas, le régime espérait étouffer les rébellions touarègues. Mauvais calcul. L’afflux d’armes de Libye et de combattants islamistes précipitera la partition du Mali. Ce poids de l’argent de la drogue dans la déstabilisation de toute la sous-région ne doit pas être sous-estimé.

En lisant ces articles particulièrement éclairant sur la coruption et la décomposition de l’administration, de l'armée et de la classe politique ainsi que les différentes politiques d’aménagement du territoire, sans oublier le soutiens de certaines milices ethniques anti touaregs sont la principales causes de la rébellion du MNLA.

 En ce qui concerne l'autre affirmation abracadabrante sur le fameux armement libyen des forces rebelles un article de Jeune Afrique daté du 8 novembre 2013, intitulé "Crise malienne : d'où viennent les armes des djihadistes ?" donne des détails précis :

Si la guerre en Libye est systématiquement montrée du doigt, la réalité est plus complexe. Rebelles, jihadistes et bandits n'ont pas attendu la mort de Kaddafi pour prospérer. Bien avant 2012, le Mali était devenu le ventre mou de l'Afrique de l'Ouest, où fleurissaient tous les trafics. Depuis l'Érythrée, le Soudan et le Darfour, via le Tchad puis le Niger ; depuis la Sierra Leone et le Liberia, où la fin des guerres civiles a rendu disponibles d'importantes quantités d'armes, via la Guinée ; depuis le sud de l'Algérie, avec des armes volées dans les dépôts du Front Polisario, via la Mauritanie... Les marchands de mort transportent leur cargaison, se servant du Mali comme terrain de passage, mais aussi comme d'un espace de vente, car les clients abondent depuis les années 2000.
Ainsi, en 2005, les hommes de Mokhtar Belmokhtar attaquent le poste militaire de Lemgheity, en Mauritanie, avec une vingtaine de 4x4, équipés de mitrailleuses lourdes et de lance-roquettes antichars RPG-7 qui ne sortent pas des entrepôts libyens. Et les premières mines antipersonnel utilisées contre l'armée malienne l'ont été, dès 2007, par les hommes d'Ibrahim Ag Bahanga, dans la zone de Tinzaouatène.
 
Les armureries des garnisons maliennes constituent elles aussi depuis longtemps des sources d'approvisionnement. Un rapport de la Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères du Mali, daté de 2010, quelques mois avant la révolution libyenne, indique que « des armes et des munitions de toutes catégories circulent illicitement dans toutes les régions du pays. Certaines proviennent du trafic illicite, d'autres des stocks nationaux à cause de leur mauvaise conservation et mauvaise gestion ». Dans d'autres cas, les saisies disparaissent, vendues par des membres des forces de sécurité peu scrupuleux.
Avec la débandade de l'armée malienne, islamistes et rebelles du MNLA se sont emparés de stocks importants, aussi bien d'armes légères que de blindés et de l'artillerie : BRDM-2 et BTR-60PB, mortiers ou lance-roquettes multiples BM-21. À Gao, le MNLA avait mis la main sur quelques chars légers PT-76. Même si leur capacité opérationnelle paraît douteuse et que les obus pour leur canon de 76 mm sont en majorité défectueux, tout cet arsenal a été récupéré par les salafistes lors de la déroute des indépendantistes de l'Azawad.
Grâce à des armes et équipements abandonnés par les forces maliennes, les jihadistes peuvent donc équiper la « piétaille » qu'ils ont formée à la hâte, renforcer leurs capacités et se procurer de quoi fabriquer des engins explosifs. Ces stocks ne sont pas inépuisables, mais il y a d'autres alternatives, beaucoup d'autres...

 La encore une légende qui s'écroule. L'armement des rebelles du MNLA et des Djihadistes du MUJAO, ADMI et Ansar Dine provient essentiellement des arsenaux maliens et non de Libye ... Et la fière armée malienne ne s'est pas débandée à cause  d'une "défaillance de la chaine de commandement", mais de la corruption générale des officiers.

Les Chroniques du [CyberKabyle].