Cette première visite du Président du CMA en pays Touareg du nord-Mali était d’abord l’expression d’un devoir de fraternité des Amazighs envers leurs frères des Kel Tamacheq (Touaregs), particulièrement au moment où ce peuple est confronté à diverses menaces. Le conflit ouvert qui l’oppose depuis plusieurs mois au gouvernement malien constitue une préoccupation majeure pour le CMA. A ce sujet, le président de l’ONG amazighe a rencontré et échangé avec divers partenaires touaregs, particulièrement avec les dirigeants de "l’Alliance Démocratique du 23 mai pour le Changement" responsables du mouvement de la résistance armée, issu de l’acte d’insurrection du 23 mai 2006. Ces derniers, rencontrés dans la région de Kidal, ont tenu à expliquer au président du CMA les origines du conflit, ses conséquences et les conditions de sortie de crise.
Les responsables de l’Alliance ont tenu à réaffirmer qu’ils ne sont pas des adeptes de la violence et que leur coup de force du 23 mai 2006 n’est que le recours ultime après épuisement des innombrables tentatives infructueuses de dialogue avec le gouvernement malien au sujet des responsabilités non assumées et des engagements non respectés par l’Etat malien envers les régions Touarègues marginalisées du nord-Mali. Ils ont rappelé que les Touaregs du Mali (et du Niger) se sont déjà soulevés notamment au début des années 1990 pour protester contre la situation de relégation sociale et culturelle qui leur était imposée par les Etats. A la suite de cette révolte réprimée dans le sang (plusieurs milliers de victimes parmi les populations civiles), un "Pacte National" a été signé en 1992 entre le gouvernement malien et les représentants touaregs de l’époque, prévoyant notamment des mesures économiques et sociales en faveur des populations touarègues, un volet de rattrapage de développement, un statut particulier (autonomie) pour la région de l’Azawad (nord-Mali) et le désarmement des combattants touaregs et leur "intégration" dans les différents corps de sécurité et de l’administration de l’Etat. A ce jour, c’est-à-dire 14 ans après, seul ce dernier point a été appliqué. La légendaire patience touarègue n’ayant pas été comprise, l’insurrection du 23 mai 2006 s’est imposée comme l’unique moyen d’amener le gouvernement malien à respecter ses obligations telles que prévues par le Pacte National et à attirer l’attention de l’opinion nationale et de la communauté internationale sur le drame touareg.
Au cours de leur rencontre avec le Président du CMA, les dirigeants du mouvement de la résistance armée touarègue ont rappelé que leur action du 23 mai 2006 a été menée pratiquement sans violence et que les combattants ont décidé de se retirer en dehors des zones habitées afin d’éviter les risques encourus par les populations civiles. Et dès le lendemain du 23 mai, les responsables touaregs ont exprimé leur disponibilité au dialogue, qui a d’ailleurs été rapidement entamé avec le gouvernement malien en présence d’un représentant de l’Etat algérien, comme médiateur. Le 4 juillet 2006, les négociations se sont achevées par la signature de "l’Accord d’Alqer pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal", qui reprend globalement les dispositions du Pacte National de 1992, sauf "le statut particulier" pour les régions touarègues, abandonné à la demande du gouvernement algérien.
Depuis, sept mois se sont écoulés et on ne constate pas même le début d’application de l’accord d’Alger. La responsabilité de ce retard incombe bien sûr au gouvernement malien mais aussi au gouvernement algérien en tant que garant de l’application de l’accord.
Par ailleurs, les responsables de l’Alliance Démocratique du 23 mai pour le Changement ont tenu à dénoncer ceux qui ont tenté en vain de porter atteinte à leur intégrité morale en prétendant que les combattants touaregs collaboraient avec des éléments du GSPC algérien et ceux qui ont essayé d’utiliser la résistance armée touarègue pour combattre les salafistes, une manière de se débarrasser des uns et des autres à bon compte. A tous, les Touaregs tiennent à rappeler clairement qu’ils resteront vigilants en toutes circonstances pour éviter tous les pièges, qu’ils sont résolument favorables à la stabilité et à la paix mais qu’en même temps ils sont déterminés à défendre leur liberté et leur dignité sur leurs territoires contre toutes les forces qui tenteront de les asservir.
Ayant constaté l’âpreté de l’environnement dans lequel survivent les Kel Tamacheq, acculés par la sécheresse d’un côté et soumis à la marginalisation et aux violences multiformes de l’autre, et compte tenu de la légitimité et de la légalité de leurs revendications, le président du CMA a assuré que la question touarègue sera plus que jamais au cœur des préoccupations de son organisation. Il a invité les Touaregs à se tourner davantage vers le reste de Tamazgha, leurs pays naturel de toujours et à s’impliquer plus activement au sein du grand mouvement amazigh. Il a affirmé que "les souffrances, les luttes et les espérances des Touaregs sont entièrement partagées par les autres composantes de la nation amazighe". De l’adrar des Ifoghas, il lance un appel urgent aux Amazighs de tous les pays pour qu’ils viennent au secours de leurs frères Touaregs confrontés à la situation la plus délicate de leur histoire. "C’est une nécessité vitale et un devoir impérieux pour chacun de nous" a-t-il indiqué.
Par ailleurs il a proposé à ses interlocuteurs l’aide du CMA pour préparer et soumettre dans les meilleurs délais, le dossier touareg auprès des Nations Unies, de l’Union Africaine, de l’Union Européenne (en tant que bailleur de fonds de l’Etat malien) et de toutes les organisations internationales susceptibles de jouer un rôle utile. Se fondant sur le droit international, ce dossier devra comporter une demande d’appui de la communauté internationale à la revendication d’un statut particulier pour les territoires touaregs, seul mécanisme susceptible à l’heure actuelle de garantir aux populations touarègues la préservation de leur identité et d’assurer leur survie et leur développement socioéconomique. En tant que peuple autochtone du Sahara, les Kel Tamacheq devront également bénéficier de la reconnaissance internationale concernant leur liberté de circulation transfrontalière, afin de pouvoir maintenir leurs liens ancestraux avec tous leurs territoires répartis entre plusieurs Etats (Mali, Niger, Libye, Algérie, Mauritanie, Burkina-Faso). Le droit international devra également leur garantir un accès équitable aux ressources de leur terre et de leurs territoires.
Le président du CMA a quitté le pays des Kel Tamacheq du Mali en promettant que sa visite ne sera pas la dernière et en assurant qu’il suivra avec la plus grande attention l’évolution de la situation sur le terrain. Le peuple Touareg mérite le respect et la solidarité de tous les hommes et femmes épris de justice et de valeurs humaines car lorsque ce peuple lutte pour sa liberté et sa dignité, il contribue à la liberté et la dignité de tous les peuples.
Paris, le 30 janvier 2007
Le Bureau du CMA.
Les Chroniques du [CyberKabyle].
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