Le propos de l’exposition est simple : le « monde arabo-musulman » aurait connu un « développement brillant de sa civilisation », qui se serait notamment traduit par des « progrès fulgurants dans plusieurs champs scientifiques ».
Il est clair qu’un tel propos tranche avec la vision que nous avons aujourd’hui de ce monde. Nous n’y voyons que chaos, misère intellectuelle, corruption, dictatures, fanatisme religieux et désastre économique. Nous pouvons imaginer sans peine que ceux qui sont habités par « l’identité arabo musulmane » se sentent quotidiennement blessés d’évoluer dans un environnement organisé en grande partie par des concepts forgés en Occident. Certainement, résonnent chez chacun d’eux un besoin profond de reconnaissance qui se formulerait ainsi : « nous aussi, nous avons inventé, crée, innové ».
En vérité, il faut avouer que l’histoire enseignée dans nos écoles se penche peu sur les influences extra européennes qui ont pu marquer son développement. Or, des inventions majeures viennent d’ailleurs et on notamment transite par le « monde arabo-musulman ». Nous leur devons notamment des techniques qui ont été cruciales pour le développement des mathématiques : système de numérotation, équations du 3e degré etc. Sans parler des autres disciplines comme l’astronomie, la médecine etc.
Plus profondément, l’exposition illustre une idée intéressante qui ne plaira pas aux tenants des thèses culturalistes. Le monde occidental (l’Europe) et « le monde arabo musulman » (les régions unies sous les différents califats) appartiennent à une même civilisation. Loin de se développer à part, avec leurs ressources propres, irréductibles l’un à l’autre, ils se sont influencés sans arrêt. L’Islam par exemple n’est elle pas une religion issue du judéo-christianisme. ? Pour revenir aux sciences, « les savants d’Andalousie, n’ont-ils pas transmis les savoirs des grecs aux européens oublieux de leurs traditions » [1].
Plus encore, les savants de ce monde auraient amené en Europe des concepts pris chez leurs voisins, comme l’Inde d’où ils importèrent le concept du zéro, ce qui permit au passage de développer les techniques d’équation. On peut encore citer la boussole et le compas chinois, les échecs perses. Bien que l’exposition de l’exprime pas explicitement, l’impression générale est que, plutôt que des « créateurs/inventeurs », les « arabo-musulmans » ont surtout excellé dans le rôle de passeurs.
Enfin, l’exposition essaie de faire passer subrepticement l’idée que « le monde arabo musulman a connu avant l’Europe une modernité philosophique ». Ce ne fut certes qu’un moment de leur histoire, apparu en particulier dans le royaume d’Andalousie, mais un moment qui a laissé une trace puissante dans la grande histoire des civilisations. Cette « modernité » aurait été portée par exemple par Averroes [2] qui, dès le XIIe siècle, défendait une autonomie de la pensée par rapport à la religion. L’Europe aurait mit des siècles pour renouer avec cette tradition. On peu déplorer le manque d’honnêteté de la part de l’IMA a ce sujet. En effet quand Ibn Rushid - Averroes - écrivait, il vivait sous le règne du califat des Almohades, des Berbères marocains musulmans rigoristes, étaient tout sauf politiquement modernes. Il y avait peu être un renouveau philosophique - et encore, il s’agit essentiellement de reprises de thèmes platoniciens et aristotéliciens.
Ce qui étonne cependant dans l’exposition, c’est l’absence d’explication sur la fin de cet âge d’or. Nous pouvons imaginer que son propos de base, la défense d’une fierté blessée, interdit une telle question. Or celle ci se pose avec acuité au fur et à mesure de la visite. Du coup le visiteur tente d’imaginer les causes du Désastre (le vrai). Une cause qui lui vient à l’esprit est le conservatisme mental, alimenté par la religion, qui est venu étouffer la pensée créative, bloquer tout renversement de perspective sur la façon de comprendre la réalité. Ces savants avaient réussi à organiser un savoir connu, hérité des Grecs, des Indiens, des Berbères ou des Perses. Ils avaient rangé les connaissances de l’époque dans des catégories sans cesse plus fines. Mais ils ont rarement inventé de nouveaux concepts. Par exemple, ils avaient toutes les connaissances pour déduire que la terre tournait autour du soleil, mais jamais ils n’ont été capables de produire un tel énoncé. Or, comme le démontre Thomas Kuhn dans son célèbre ouvrage « La structure des révolutions scientifiques », ce n’est pas l’accumulation des connaissances qui fait progresser le savoir humain, mais les renversements de paradigmes.
Les Chroniques du [CyberKabyle].
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