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01 avril 2006

Tizi-Ouzou : le mufti superstar

Le Dr Yusuf al-Qardawi, célèbre penseur musulman, « mondialement connu » selon le quotidien Le Jeune Indépendant, était jeudi 30 mars 2006 en visite dans la capitale du Djurdjura, Tizi Ouzou, en compagnie de sa femme, à l’invitation du directeur des affaires religieuses de la wilaya (département).

Affluence.

Toujours selon le même journal « rarement une aussi grande foule a été constatée à la maison de la Culture Mouloud-Mammeri, qui ne suffisait pas à contenir une telle affluence ». Cette information est corroborée par le journaliste A. Tahraoui du quotidien Liberté qui indique qu’ « Il fallait jouer des coudes pour accéder à la maison de la culture Mouloud-Mammeri où se déroulait, jeudi dernier, la conférence » et que « pour permettre à ceux qui n’ont pu y accéder, faute de places, de suivre l’intervention du mufti égyptien, des mégaphones ont été installés à l’extérieur. » Mais ce journal souligne bien qu’« une heure avant le début de la causerie, la salle était déjà submergée par une foule compacte venue même des wilayas limitrophes » ce qui jette un doute sur le réel « intérêt que cet événement a pu susciter chez la population de Tizi-ouzou ».

L’ombre de Bouteflika.

D’autres éléments renforcent cette impression d’orchestration comme l’« escorte de gardes du corps de la présidence de la République » ainsi que la « tribune fleurie où trônaient également l’emblème national et le portrait du président Bouteflika ». De plus lorsque Yusuf al-Qardawi clame bien haut que « La Kabylie est la terre d’Islam. Elle ne peut se dissocier de l’islam comme l’islam ne peut se dissocier d’elle », cela sonne comme l’écho du discours de Bouteflika, dans cette même ville il y a quelques mois : « La Kabylie n’est rien sans l’Algérie comme l’Algérie n’est rien sans la Kabylie ».

Apologie du peuple Kabyle.

Le théologien se livre ensuite à un exercice de flatterie en commençant son discours par des « salaams agrémentés d’un azul fellawen » et en indiquant son « enthousiasme de venir en Kabylie, la terre des Amazighs, les hommes libres, qui ont embrassé l’Islam dès le premier jour. La wilaya de Tizi Ouzou a toujours été la région du Coran, des zaouïas, de la science, du soufisme et du djihad ». Il rappellera aussi l’épopée de Tarek Ibn Ziad, le conquérant de l’Andalousie, de cheikh Ahadad, de l’Émir Abdelkader, d’El-Mokrani, de l’héroïne Lala Fathma n’Soummer, femme remarquable par son courage face aux généraux français, et du colonel Amirouche qu’il cite nommément et dont l’anniversaire de la mort au combat correspond au jour de l’animation de cette conférence.

Eloge de Tamazight.

Selon le Jeune Indépendant, le « penseur » a précisé, ensuite, que la langue amazighe ne doit en aucun cas constituer un obstacle entre l’homme et sa religion. « L’islam n’ignore pas les langues des hommes... il est venu unir l’humanité. L’arabe est la langue que Dieu a choisie pour nous proposer Sa miséricorde. C’est la langue de l’islam, mais elle ne s’impose à aucun peuple. Tout au long des siècles, nous avons entendu parler d’hommes de différentes races qui se sont convertis à l’islam. La langue n’a jamais constitué une forme d’empêchement ».

Eloge de Bouteflika

Il a estimé, par ailleurs, que « le président algérien Abdelaziz Bouteflika a raison de réglementer l’exercice du culte » en faisant allusion à la nouvelle réglementation fixant les règles et conditions de l’exercice des cultes autre que musulmans qui se développent dans « certaines régions du pays ».

« Je soutiens mon frère Bouteflika dans sa démarche qui vise à unir les rangs du peuple algérien, longtemps déchiré par la fitna ( discorde ). C’est ainsi que les fondements de la nation seront maintenus. Cette démarche constitue un exemple à suivre dans les autres parties du monde musulman. »

Qatar vs Kabylie : Choc des civilisations (I)

Sur un autre plan, Yusuf al-Qardawi se dit « ahuri » par la manière dont sont vêtues les filles dans les rues de la ville de Tizi Ouzou, tout comme il s’étonne du fait que toutes les affiches et enseignes des magasins soient écrites en français, alors que, selon lui, le peuple kabyle est plus proche de l’arabe que de la langue de Molière. « Ce sont les retombées de la colonisation. Tout musulman jaloux de sa religion ne doit pas tolérer ces tenues qui portent atteinte à notre société. Il faut sauvegarder les constantes de notre peuple qui sont fondées sur l’Islam avant tout ». « Ceux qui tentent vainement l’évangélisation de cette région se trompent de société. La Kabylie ne vendra pas sa religion qui est l’Islam », clame-t-il. « Les Kabyles sont des gens qui se sont toujours battus pour l’honneur, pour leur pays et pour leurs principes. Aujourd’hui, les tentatives visant à les séparer de leur enracinement islamique se multiplient. Mais je peux vous assurer que toutes ces tentatives resteront vaines. Toutes ces zaouïas qui activent au niveau de la région et tous ces musulmans présents devant moi démontrent parfaitement que personne ne pourra vous déraciner. » « Le colonialisme est venu après votre conversion à l’Islam, mais aussi après l’affaiblissement de notre civilisation. Je crois qu’il n’a apporté que du mal à la communauté musulmane. C’est pour ces raisons que nous devons combattre ces invasions, pour préserver notre grande nation. » Yusuf Al Qardawi a poursuivi en évoquant la mobilisation des musulmans contre les caricatures attentatoires au Prophète, qui avaient été publiées au Danemark.

Islam vs Occident : Choc des civilisations (II)

« Dieu comptabilisera certainement ce bon geste et cette bonne réaction de tous les musulmans dans le monde. Mais ces réactions restent insuffisantes, dans la mesure où l’on continue de consommer des produits venant de ces ennemis de l’islam. On consomme encore leurs produits et on s’habille avec leurs vêtements, alors qu’on doit, par principe, tout boycotter. » L’hôte de la Kabylie a clamé haut et fort que les musulmans doivent obligatoirement unir leurs forces et sortir de leur long sommeil, pour pouvoir entrer dans le nouveau monde de la technologie.

« Nous devons combattre cette mondialisation en unissant nos forces, en faisant face à ces invasions chrétiennes et juives. Notre nation doit se relever. Nous n’avons plus le choix et nous pouvons réussir », assura-t-il. C’est dans ce contexte que le cheikh a déclaré son soutien au processus pour la paix et la réconciliation nationale mis en œuvre par le président Abdelaziz Bouteflika.

Avant de quitter la ville de Tizi Ouzou, les imams des zaouïas ont offert au cheikh Yusuf Al Qardawi, en guise de souvenir, un burnous berbère.

Le mufti et l’archevêque : Choc des civilisations (III)

Les journaux ne disent pas si le théologien égyptien a croisé dans la ville des Genêts l’archevêque d’Alger, Mgr Teissier. Hasard du calendrier, ce dernier se trouvait également jeudi à Tizi-Ouzou. En effet, d’après Le Soir d’Algérie, « C’est en présence de l’ambassadeur de France, de Mgr Tessier, archevêque d’Alger, du maire de Tizi-ouzou, du recteur de l’université de Tizi-Ouzou ainsi que des membres de la communauté catholique et de nombreux invités qu’a été inauguré avant- hier jeudi, la bibliothèque de la mission des Pères Blancs de Tizi-ouzou »(...)« l’archevêque d’Alger a mis en garde contre l’enfermement des croyants dans “l’univers de leur propre culture religieuse” (...) “Ensemble nous avons à affronter les mêmes défis de ce temps”, dira Mgr Tessier qui a souligné la contribution des premiers Pères Blancs pour la sauvegarde et la réhabilitation du patrimoine humain spécifique à la culture de la Kabylie. » Contrairement à son homologue mufti, l’archevêque ne s’est pas contenté de flatter les Kabyles mais a également apporté du concret, puisque la bibliothèque est un lieu « destiné prioritairement aux étudiants de l’université de Tizi-Ouzou. Le fonds documentaire de cette bibliothèque qui est en phase d’enrichissement comporte plusieurs ouvrages de référence sur le patrimoine culturel amazigh tels que la célèbre collection du fichier documentaire berbère et le premier dictionnaire de langue Kabyle réalisé en 1904. » S’il décide de prendre exemple sur son confrère catholique, on peut se demander ce qu’apportera aux Kabyles le Dr Yusuf al-Qardawi lors de sa prochaine visite : un hôpital ? Une bibliothèque islamique en tamazight ? Nous parions plutôt sur un stock de hidjabs et d’abbayas pour habiller convenablement les filles de Tizi-Ouzou.

Synthèse réalisée par Azzedine Ait Khelifa et Yidir Achouri
Sources : Liberté, Le Jeune Indépendant, Le Soir d’Algérie

Les Chroniques du [CyberKabyle].

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