Le pourquoi du remplacement d’Ouyahia par Belkhadem au poste de premier ministre.Comme dans un conte oriental, il y a plusieurs façons de relater et expliquer la même histoire : l’éviction par le président de la république algérienne, A. Bouteflika, d’Ahmed Ouyahia du poste de premier ministre qu’il détenait depuis mai 2003 et son remplacement par le chef du FLN, Abdelaziz Belkhadem. On dénombre aujourd’hui sept tentatives d’explications partielles ou totales de ce coup de théâtre politique.
La thèse politicienne : Belkhadem, président du FLN (Front de Libération Nationale, ancien parti unique, parti du président Bouteflika) remplace Ouyahia pour refléter l’effritement politique du RND (Rassemblement national démocratique, parti d’Ahmed Ouyahia, membre de l’alliance présidentielle avec le FLN et le MSP) et le retour en force du FLN « redressé » (il dispose de la majorité absolue à l’APN – parlement algérien -, il a reconquis des communes même en Kabylie…). Le FLN n’a plus besoin de son « petit frère » RND et peut gouverner seul l’Algérie.
La thèse de la lutte des clans : Belkhadem est le protégé de Bouteflika alors qu’Ouyahia est le protégé de certains généraux, notamment du général Tewfik, le chef de la DRS (direction renseignements et sécurité, services secrets algériens). Le remplacement d’Ouyahia par Belkhadem marque une nouvelle victoire dans la lutte de Bouteflika pour reprendre le contrôle réel du pouvoir des mains des généraux.
La thèse idéologique : Belkhadem, soutenu par Soltani et son MSP (islamistes « loyalistes » envers le président Bouteflika) représente le courant de pensée dit « barbéfélene » ou « islamo-conservateur » du pouvoir algérien, alors qu’Ouyahia représente l’aile « républicaine », plus laïque, plus technocrate (il est énarque de formation). Son remplacement indiquerait donc un tournant idéologique plus net vers l’islamisme impulsé par la présidence et mis en œuvre de concert par Belkhadem et Soltani.
La thèse économique : Ouyahia s’est toujours présenté comme un représentant de l’orthodoxie financière, un modernisateur, chef de file des privatisations, n’hésitant pas a affronter les syndicats et toujours soucieux de voir l’Algérie respecter les critères du Fonds Monétaire International. Belkhadem tient lui un discours plus populiste, plus « social », appelant à distribuer directement les fruits de la rente gazo-pétroliere à la population plutôt qu’à préserver les équilibres macro-économiques. L’éviction d’Ouyahia signifierait donc que Bouteflika considère l’Algérie désormais saine financièrement (les comptes de la nation sont revenus dans le vert ces deux dernières années) et souhaite donner, grâce à Belkhadem, un tour plus social a son mandat.
La thèse ethnique : Ouyahia est kabyle. On soupçonne même que c’est pour cette raison qu’il avait été choisi au poste de premier ministre par Bouteflika, afin de calmer la crise de Kabylie (émeutes, manifestations, boycott des élections) en jouant sur la « fibre régionaliste » (ce qu’il fit en prononçant un discours en kabyle à l’APN et en négociant avec les Aarch, fers de lance du mouvement de contestation). Sa mission terminée (la Kabylie n’est plus pour le moment une menace pour la stabilité du régime), il est préférable pour Bouteflika de reprendre un premier ministre arabe (Belkhadem est de Biskra), pour satisfaire une population parfois agacée par le poids des Kabyles dans l’appareil d’Etat.
La thèse constitutionnelle : Il est de notoriété publique que Bouteflika cherche à faire amender la constitution pour lui permettre de se présenter aux prochaines élections présidentielles pour un 3e mandat consécutif. Ouyahia, en tant que premier ministre, dirigeait l’ordre du jour du parlement, seul habilité à effectuer cette modification. Il aurait quelque peu rechigné à accomplir cet ordre présidentiel. A l’inverse, Belkhadem a plusieurs fois appelé de ses vœux un tel changement constitutionnel. Sa principale tâche sera donc de préparer le terrain à une 3e élection de Bouteflika. Le lendemain de sa nomination il a d’ailleurs déclaré au Soir d’Algérie que la réforme constitutionnelle était sa priorité.
La thèse de l’après-Bouteflika : Sentant sa santé fragile et conscient qu’un « accident » est toujours possible auquel ne pourront cette fois plus rien les médecins militaires français du Val de Grâce, Bouteflika préparerait sa succession. Le choix de nommer Belkhadem premier ministre, après l’avoir nommé il y a quelques années son représentant personnel, indiquerait en fait sa volonté de le voir lui succéder s’il venait à décéder. Belkhadem serait donc désormais le « dauphin » officiel de Bouteflika.
Rappelons que toutes ces théories ne sont que des bribes d’explications, peut-être fausses ou trop partielles. Souvent, la politique algérienne « visible » n’est qu’un théâtre d’ombres dont les coulisses sont la vraie scène, laquelle reste, hélas, invisible aux citoyens lambdas que nous sommes.
Yidir Achouri pour le [CyberKabyle] .