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05 avril 2010

Le terroir dans le tiroir (Petite interview censurée de Dda Rachid Oulebsir)


Le terroir dans le tiroir


Six mois après la parution de mon essai sur les mythes et les rituels qui environnent la cueillette des olives en Kabylie, J’ai accordé une interview au journaliste Mouhoub qui écrit dans un quotidien régional Kabyle. Le texte qui suit n’est jamais paru ! Rencontré dans un café, un mois après, le pauvre Mouhoub, me dit ceci : « J’ai un peu mauvaise conscience, mais la rédaction de mon journal a préféré un article People qu’un confrère a piqué sur Internet, désolé. Je te donne le texte que j’ai remis à la rédaction et qui est encore dans les tiroirs ».
Je vous offre donc l'interview orpheline que mon ami Mouhoub n'a pu placer dans la rubrique "Culture " de son journal à laquelle nous avons ensemble donné le titre :

" Le terroir dans le tiroir"

« Rachid Oulebsir vient de publier chez l’éditeur parisien L’Harmattan un essai intitulé « L’olivier en Kabylie entre mythes et réalités » où il fait revivre la saison de la cueillette des olives et les rituels tant pratiques que mythiques qui l’accompagnent. Il est l’un des rares intellectuels à s’être penché sur le rapport quasi charnel entre la Kabylie et l’olivier. C’est en spécialiste de l’oléiculture, donc d'un volet du patrimoine immateriel de la Kabylie, que nous l’avons interpellé ! »

Mouhoub: Pour commencer, pourquoi un livre sur l’olivier en Kabylie ?

R Oulebsir. : Je travaille depuis des années sur le patrimoine culturel immatériel de la Kabylie et ce livre est le premier volume d’une trilogie qui a pour prétention de pérenniser les traditions et les savoir-faire kabyle menacés de disparition. L’olivier fait partie du blason identitaire de la région. Le rapport entre l’olivier et l’identité kabyle relève de l’évidence historique et culturelle. La place de l’olivier dans la cosmogonie kabyle est centrale. On ne peut pas se qualifier de kabyle si on ne sait pas différencier l’huile d’olive d’une vulgaire « huile sans goût ».

Mouhoub : Votre livre est passé inaperçu !

R.Oulebsir : Il vient à peine de paraître il faut laisser le temps au temps ! La saison des olives a démarré c’est le moment d’en parler. J’espère que les médias vont se saisir de ce thème et donner sa place à ma contribution. C’est en principe votre rôle à vous les journalistes.
M. Bessa en a fait une présentation fort intéressante sur ces mêmes colonnes. Je sais que le livre se vend bien en France et sur le Web. Il y a déjà plus de 100 associations kabyles qui l’ont commandé. Allez sur Google et tapez mon nom vous aurez la liste des librairies françaises qui le vendent.

Mouhoub : Comment se présente la récolte d’olives cette année ?

R Oulebsir : Les dernières pluies d’octobre ont sauvé la saison. Les vergers commençaient à dessécher quand dame nature a décidé qu’il en sera autrement ! Les fellahs ont eu un beau cadeau du ciel. Dans la basse vallée de la Soummam la cueillette est largement entamée, elle débutera vers le 10 décembre dans la haute vallée !

Mouhoub : Expliquez-nous cette différence.

ROulebsir : La vallée de la Soummam est marquée par deux micro climats. Du golfe de Bougie jusqu’à Sidi-Aich, la pluviométrie est importante, le climat est doux et stable. Il n’y a pas réellement de grands écarts de températures, les variétés d’oliviers (Lemli, tabelot, taqesriwt…) complantées sur les coteaux sont plutôt précoces. La récolte débute en Novembre selon la volonté des villageois qui respectent encore les rituels culturels d’ouverture, tels que Tamouqint ou Timechret, ou encore Tiwizi.
La haute vallée de la Soummam, s’étend du canyon de Sidi-Aich jusqu’aux larges plaines de Raffour( Iwaqoren).Elle est marqué par un climat instable soumis au vent du sud soufflant du Hodna le matin et au vent marin venant de Bejaia l’après midi. Pris entre le froid du Djurdjura au nord et la chaleur venant de Msila, le verger oléicole a développé des variétés plus résistantes et plus tardives (Chemlal, zeradj, haroun…). La cueillette commence en principe après la période dite Iqachachen, dans le calendrier berbère, qui dure du 30 novembre au 6 décembre. C’est la durée où les arbres caducs perdent leurs dernières feuilles (Taqachit), c’est également le moment où l’olive forme son maximum d’huile.

Mouhoub : L’ensoleillement et la forte pluviométrie expliquent–ils à eux seuls une forte production ?

R.Oulebsir. : Bonne question ! C’est d’autant plus vrai que les pics de production ont suivi les années où il a fortement neigé sur le Djurdjura et les Bibans ! En Kabylie la production d’olives est bisannuelle. L’arbre donne une année sur deux .C’est une caractéristique de notre verger depuis la nuit des temps. La production est fonction des aléas climatiques et l’olivier est cultivé en sec comme faire-valoir des terres montagneuses et des coteaux arides. On peut changer de mode de production mais c’est un ensemble de savoir-faire à mettre en place et des pratiques culturales à bouleverser. Certains paysans s’y mettent mais c’est tout un état d’esprit à reformer ! C’est là où réside la différence avec les autres pays du bassin méditerranéen où l’oléiculture est une préoccupation stratégique nationale. Le passage du stade de la cueillette à celui de la récolte n’est pas un jeu de mots mais il renvoie au niveau de développement de la branche oléicole de la plantation de l’arbre en amont jusqu’ à la production d’huile en aval!
Nous sommes les derniers producteurs d’huile d’olive loin derrière nos voisins de la rive sud de la méditerranée et très loin de l’Italie, l’Espagne ou la Grèce qui occupent les principaux segments du marché de l’huile d’olive dans le monde notamment le marché américain.

Mouhoub : Peut-on se situer par rapport à nos voisins ?

R.Oulebsir. Nous avons un verger d’environ 20 millions d’arbres, avec 40% improductifs atteints de maladie ou victimes de mauvaises façons culturales comme l’usage des bâtons et des gaules ! Le Maroc et la Tunisie possèdent chacun le double de notre verger ! Un minuscule pays comme la Grèce cultive près de 100 millions d’oliviers ! L’Italie en a 198 millions et l’Espagne 212 Millions d’oliviers en production ! En terme d’huile nous avons les plus bas rendements du bassin méditerranéen fluctuant selon les années entre 4 à 20 kilos par quintal d’olive. En terme de qualité notre huile a beau être biologique puisque l’olivier ne bénéficie d’aucun traitement phytosanitaire ; elle n’en demeure pas moins invendable sur le marché mondial à cause de sa forte acidité ! ( Plus de 3°).

Mouhoub : Le tableau est plutôt noir, alors que nous nous bercions d’illusion !

R.Oulebsir : Nous vivons sur des mythes en la matière ! Il y a des croyances aux quelles il faudra tordre le cou si l’on veut rattraper le temps perdu et valoriser notre patrimoine oléicole.
L’algérien serait un connaisseur et un grand consommateur d’huile d’olive ! Il se fait régulièrement avoir en achetant de l’huile frelatée et il est le dernier utilisateur d’huile d’olive sur le pourtour méditerranéen, avec seulement 2 litres en moyenne par an, alors que le citoyen grec consomme 19 litres par an et l’Italien 11 litres ! Un deuxième mythe colporte l’idée que le vieux moulin artisanal produirait la meilleure huile du monde ! Il y a encore dans la région d’Adekar des moulins à traction animal, tout comme il en existe encore à Beni-melikeche ! Un pressoir antique à meule de pierre et presse de bois qui tourne à la cadence d’un cheval donnerait la meilleure huile du monde !Les analyses de laboratoire prouvent malheureusement pour nous que si la saveur de cette huile est de loin meilleure grâce à la presse de bois et aux scourtins de fibre végétale, l’huile s’oxyde rapidement pour devenir acide et rance en quelques mois alors que l’huile produite par les centrifugeuses ( Machines ultramodernes) se bonifie avec le temps malgré une amertume naturelle de départ ! La Kabylie est encore au stade artisanal, mais quelques investisseurs semblent orienter leurs capitaux vers la branche oléicole !

Mouhoub: Y’a-t-il encore quelque espoir avec le fonds de l’état, le FNDRA !

R.Oulebsir : Les aides de l’état sont nécessaires, mais le mal est plus profond. Il y a un problème de savoir-faire et de mode de culture. Il faut arrêter un diagnostic juste pour décider du traitement à adopter à la branche oléicole.
On veut produire de l’huile d’olive de bonne qualité en grandes quantités pour exporter et conquérir des parts sur le marché mondial ! Voilà l’objectif pérenne de tout temps déclaré !

Qui pourra faire ça et avec quels moyens ? De quels atouts disposons-nous pour affronter la concurrence des gros producteurs du bassin méditerranéen ?

Les Chroniques du [CyberKabyle].

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