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15 décembre 2006

Zidane, l’idole


Depuis deux jours, l’ancien capitaine de l ’équipe de France, en visite en Algérie, déchaîne les foules partout où il passe.

SIRÈNES HURLANTES, deux motards ouvrent la voie à la Mercedes 500 blindée de couleur noire qui file en trombe. À ses côtés, occupant l’essentiel de la chaussée, des policiers sortent les bras de leurs véhicules banalisés pour enjoindre les automobilistes à se rabattre.

Envers les plus rétifs, les hommes de la garde présidentielle n’hésitent pas à recourir à la menace et à exhiber leurs AK 47 hors de l’habitacle. Derrière ce cortège officiel, une cohorte de véhicules hétéroclites s’efforce de suivre. Les journalistes locaux, accompagnés de copains ou de cousins, ne lâchent rien. Aucun battement de cils de Zidane ne peut ni ne doit échapper à leurs focales.

La cinquantaine de véhicules en fièvre a traversé, deux jours durant, la Wilaya de Boumerdes (une préfecture située à l’Est d’Alger, très durement touchée par le terrorisme durant la décennie noire, puis par un violent séisme le 21 mai 2003) à l’occasion de la visite de Zinédine Zidane. Sidi Daoud, Beni Amrane, Thenia… Villes martyres ou en partie détruites.

Chaque fois, le défilé des protecteurs et de ses suiveurs a laissé derrière lui un nuage de poussière, des odeurs de pneus et d’embrayage mêlées.

Traces fugaces du passage de Zidane ? Peu nombreux sont ceux qui sont parvenus à approcher le champion. Au mieux, les plus chanceux ont réussi à cadrer une photo, la main levée. L’empressement était tel que sa venue a occasionné quelques bousculades. D’autant que les gendarmes ou les militaires censés contenir la foule se préoccupaient parfois plus de le photographier avec leur téléphone mobile…

Mesures de sécurité et agenda chargé obligent, Zidane n’a pas traîné. Vingt ans après son dernier séjour en Algérie, il revenait au pays pour vérifier l’emploi des dons récoltés par l’association France 98 en faveur des sinistrés du tremblement de terre de mai 2003 et dont l’épicentre se situait à Thenia, non loin de Boumerdes. Grâce à un match de solidarité entre les anciens champions du monde et l’Olympique de Marseille, disputé au Stade-Vélodrome, le 6 octobre 2003, l’association avait récolté près de 1,5 million d’euros (billetterie, droits télé, parraineurs, etc.). Une partie de la somme fut allouée aux familles de pompiers du Var décédés en intervention, l’autre confiée à la Fondation de France qui s’est chargée de la redistribuer, après expertise, auprès de différentes ONG (SOS Villages d’enfants, Handicap International, Touiza Solidarité, Atlas Logistique, etc.). Sur une quinzaine de projets proposés, Zidane en avait retenu six, le plus souvent en rapport avec l’enfance.

Par curiosité, mais surtout par respect vis-à-vis des donateurs, il voulait constater de ses yeux.

« One, two, three, viva l’Algérie »

Polyclinique, unité de médecine infantile, pouponnière, unité de pédopsychiatrie pour enfants abandonnés… tant de projets utiles et émouvants réalisés grâce aux dons récoltés. Zidane a enchaîné les visites, rencontré les différents membres du personnel médical ébahis. Pendant ce temps, dehors, la foule scandait son nom. À défaut de pouvoir l’approcher, beaucoup se

rabattaient sur son grand frère Nordine, resté dehors, à l’écart des caméras. Malgré lui, c’est Nordine le discret qu’on sollicitait pour une photo ou un autographe. On lui offrait des dessins, des poteries, toutes sortes de présents adressées à Zinédine. Le grand frère acceptait en souriant. Remerciait, l’air gêné. Chaque fois les mêmes scènes : pour apercevoir la star, des petits malins escaladaient les toits ou les piliers. D’autres, plus téméraires, faisaient ployer les branches des oliviers. Les plus jeunes, eux, étaient trop petits pour apercevoir quoi que ce soit. Ils devront se contenter du souvenir indélébile de ce jour d’ambiance, festif comme une célébration d’indépendance. Journée où l’on a séché l’école pour attendre, deux heures durant, le champion en chantant : «Zizou, Zizou !» ou encore «One, two, three, viva l ’Algérie !»

Chaque fois, en sortant de sa voiture, Zidane pouvait apercevoir ces gosses en liesse et goûter leurs acclamations. Son sourire endisait long. Il aurait aimé rester, les regarder, se délecter. Mais il fallait poursuivre, continuer sa visite au pas de course. En retrait, ses parents ne perdaient rien de ce spectacle. Malika serrait son gros sac à main, Smaïl joignait les mains devant son pardessus des beaux jours. Tous deux vivaient une émotion rare. Parti de Kabylie avec rien en 1953, Smaïl revenait près de cinquante ans plus tard en héros, reçu avec les fastes d’un chef d’État. «En attendant leur avion, le fait de repenser au destin de cet homme m ’a foutu les larmes », confie Henri Émile.

Enveloppés par l’émotion de leur histoire personnelle, les Zidane n’ont guère eu l’esprit à saisir les dimensions plus sibyllines que comportait la visite de leur fils. Tant mieux si sa venue constitue un premier pas vers le dégel des relations diplomatiques et commerciales entre les deux pays.

Mais la récupération de l’événement par le gouvernement a fait grincer quelques dents. Sur chaque site de visite, des officiels avaient tendu une bâche de 3 mètres sur 4 sur laquelle on découvrait Zinédine Zidane aux côtés du président Abdelaziz Bouteflika. Un grossier montage Photoshop appuyé par un slogan : « L ’Algérie est fière de vous ».Le champion et le président posant sur le même plan. Le message est clair : l’État algérien s’approprie la venue du champion.

En découvrant ces deux portraits accolés, le légendaire chanteur Kabyle Idir, ami de Zidane et compagnon de cortège, s’est montré perplexe : «Heureusement que Zinédine est un fédérateur. Il est l ’homme qu’il faut pour rassembler, malgré toutes ces récupérations parfois vulgaires.» Effectivement, celles-ci n’ont pas manqué. Lundi, déjà, lors du premier jour de visite, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Djamel Ould Abbas, n’avait cessé de montrer son meilleur profil et sa cravate fuchsia aux caméras. Se rendant indispensable, il alimentait de sa logorrhée chaque visite de site. Reprenant à son compte l’oeuvre des autres…

Hier, le ministre était absent. Zidane a pu disposer de temps pour dialoguer avec les personnels médicaux, les questionner sur leur quotidien et leurs besoins. À l’hôpital de Thenia, il a même pu jouer quinze minutes au ballon avec des orphelins originaires du Sahara qui, en plus de leur drame, sont victimes du racisme. Revenu à Alger, en fin d’après-midi, il a visité dans le recueillement le pavillon des enfants cancéreux du professeur Bouzid. Un moment rare et digne. Avec des silences. De la pudeur aussi. Des valeurs qu’apprécie Zidane.

En regagnant sa résidence d’État dans la soirée, son cortège a été ralenti par un autre convoi : celui du Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero. Après Thierry Breton hier, les sirènes n’ont pas fini de hurler dans Alger.

KARIM BEN ZIDANE, L'equipe

La Chronique du [CyberKabyle].

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