Par Ahmed HALLI halliahmed@hotmail.com, 31/07/2006
Nabih Berri est le chef du mouvement chiite Amal. A ce titre, et en vertu de la Constitution, il est aussi le président du Parlement libanais. Il a été, enfin, délégué par le Hezbollah pour négocier en son nom, en particulier avec la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice. Quand il parle de paix, il faut donc l'écouter et essayer de saisir dans ses propos ce qui lui appartient en propre et ce que pourrait dire Hassan Nasrallah.
Jusqu'à la fin des années 80, le mouvement Amal tenait le haut du pavé. Mais comme le Fatah en Palestine, Amal, miné par la corruption de ses dirigeants, s'est laissé déborder par le Hezbollah. L'autochtone, vieilli et délabré, a été peu à peu supplanté par un produit, d'importation certes mais jouissant d'une popularité grandissante. A la suite de l'Etat libanais, les cadres de Nabih Berri ont peu à peu laissé le sud du pays au Hezbollah lui abandonnant de facto le monopole de la résistance. C'est ainsi qu'aujourd'hui, Hassan Nasrallah résiste quelque part dans un bunker et que Nabih Berri porte sa parole aux négociateurs américains. Le second est un notable usé par le pouvoir et les délices de Capoue, le premier a déjà pris la succession et aspire à prendre tout le reste. Je n'ai pas aimé dans les récentes déclarations de Nabih Berri teintées d'amertume et reprochant aux pays arabes de rester passifs devant le drame libanais. Je me suis arrêté surtout à la pointe de ressentiment contre l'Algérie. Il a cru bon, en effet, de rappeler que tout le Liban s'était mobilisé pour Djamila Bouhired durant la guerre de Libération nationale. Ce qui est vrai mais pourquoi citer précisément cet exemple pour mettre en exergue l'indifférence arabe. Un petit tour à la salle Harcha l'aurait pourtant convaincu que toute la classe dirigeante algérienne est en première ligne avec le Hezbollah. Avec un peu d'imagination, on aurait pu voir dans le ciel de Harcha les multiples sillages des roquettes et des fusées tirées en direction d'Israël et de Condoleezza Rice. Les discours galvanisants et guerriers ont proprement ravi le patron du Hamas, promoteur du meeting de soutien au Liban et d'autres spectacles servant la cause de son mouvement. Quant aux envolées contre l'impérialisme yankee et ses plans machiavéliques pour "désarabiser" les Arabes, ce fut un vrai festin pour baathiste en fin de carême. Toute cette agitation politicienne est accompagnée, comme il se doit, par un regain d'intérêt et d'affection pour le chiisme. Aux yeux des sunnites les plus bornés, les chiites retrouvent enfin le statut de musulmans qui leur était contesté. Même leur Adhan qui fait explicitement référence à l'imam Ali ne hérisse plus les oreilles salafistes. Derrière leurs grosses lunettes noires, des midinettes en djilbab lancent des regards énamourés et des baisers furtifs au nouveau play-boy du monde arabe et islamique. Ceci marque-t-il, pour autant, l'abandon du wahhabisme et l'entrée dans les ordres chiites via la milice du Hezbollah ? C'est une perspective d'avenir mais ce n'est pas encore la conversion de masse stimulée par l'éternel opportunisme des zélotes religieux. Pour l'instant, en effet, le royaume de La Mecque reste sûr de lui et dominateur. Tellement sûr de lui que sa principale chaîne d'information Al-Arabia fait la course en tête avec sa rivale Al-Jazira pour couvrir les évènements. Avec cette différence que la glorification du Hezbollah par Al-Arabia a des allures d'acte de contrition. A priori, Riyad ne semble pas gêné par ce sens des opportunités médiatiques et fait valoir les critères du professionnalisme. Et puis, pendant que Al- Arabia s'épuise à tenir la corde avec Al-Jazira, l'appareil médiatique saoudien s'emploie à défendre les positions de Riyad dans le conflit libanais. La déclaration officielle saoudienne est commentée de manière à faire ressortir le leadership qu'entend assumer désormais le royaume saoudien. Il n'y a pas de doute que c’est le rôle que veut assumer le roi Abdallah en se présentant comme le défenseur d'un Liban arabe face à l'impérialisme iranien. Cette ambition est largement portée par les éditorialistes saoudiens qui parlent d'un nouveau rééquilibrage des forces dans la région. Ce qui induit implicitement un rôle de locomotive du nouveau nationalisme arabe pour l'Arabie saoudite, épaulée par une monarchie, la Jordanie, et une république monarchique, l'Egypte. Le quotidien de Londres Al-Charq-al-Awsat le dit sans ambages : "Le peuple libanais doit savoir qu'il n'est pas seul et que son seul choix est d'être dans la mouvance arabe, avec son avant-garde le royaume d'Arabie saoudite. Il n'est pas dos au mur et il n'est pas acculé à jouer sur l'alliance avec l'Iran (…) Durant des années, après que le Hezbollah eut devenu un Etat en armes dans un Etat désarmé, la conviction a prévalu chez de larges pans de la société libanaise que le choix iranien était inéluctable. Ceci, après que l'influence arabe ait subi un reflux et que l'on eut fait l'impasse sur les réalisations stratégiques de Taef. Si les accords de Taef avaient connu seulement un début d'exécution, rien de tout cela ne serait arrivé (…) Nous n'en serions pas aux promesses de Hassan Nasrallah, alors qu'Israël détruisait tout sur son passage, lorsqu'il a affirmé que l'Iran reconstruirait tout ce qui a été détruit. Des propos qui ont résonné comme un défi lancé, non seulement aux Libanais mais à tous les Arabes." Ce que ne dit pas clairement la presse saoudienne et qu'il faut lire entre les lignes, c'est que le défi du Hezbollah est perçu par Riyadh comme un défi religieux. Nasrallah mène une guerre de religion au Liban et les Saoudiens obéissent à la même motivation. En fait, l'enjeu est le statut de la citadelle sunnite-wahhabite face à la montée d'un chiisme belliciste et séduisant par là même. C'est au moment où les télévisions saoudiennes font la part belle aux actes de solidarité avec la population libanaise que l'accroc est apparu dans l'habit pseudo-nationaliste du royaume saoudien. Le Cheikh Abdallah Bendjebrine, une des principales références religieuses wahhabites, a lancé une fetwa interdisant toute aide matérielle ou morale au Hezbollah. Sous forme de "layadjouze" comminatoires, le cheikh a successivement proscrit le soutien à ce parti "rafidhi" (déserteur — un des nombreux gentils noms attribués aux chiites). "Il ne faut pas combattre sous leurs ordres, ni prier pour leur victoire. Je conseille aux sunnites de rejeter ces gens et ceux qui les rejoignent et de dénoncer leur hostilité de toujours à l'Islam et aux musulmans." En fait, si les dirigeants saoudiens situent la nouvelle guerre du Liban dans un contexte de rivalités de puissances régionales, la fetwa la resitue dans son contexte, celui de la bataille impitoyable entre deux intégrismes : le sunnite et le chiite. Or, chaque jour de guerre au Liban renforce le second au détriment du premier. Le naturel féminin est de fuir le vieillard édenté et impotent pour le viril et courageux chevalier. La "rue arabe" est aussi frivole qu'inconsciente mais elle reste dominée par le naturel féminin, l'envie d'essayer autre chose. Certes, tout le monde arabe respire toujours wahhabite et ment encore wahhabite mais le chiisme, incarné par Nasrallah, exerce une séduction dangereuse et, à la longue, fatale. C'est peut-être la vocation de la "rue arabe" de jouer les remake de "séduite et abandonnée". C'est sans doute aussi la destinée des peuples arabes d'hypothéquer toujours l'avenir en optant parfois pour le pire.
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