Saddam Hussein est revenu lundi dans le box des accusés pour répondre de l’un des épisodes les plus meurtriers de son régime, l’Opération Anfal, dans laquelle périrent des dizaines de milliers de Kurdes en 1987-1988. Egal à lui-même, l’ancien président irakien a entamé son deuxième procès avec la même attitude de défi face à ses juges.
Saddam Hussein comparait pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il est accusé d’avoir ordonné l’opération Anfal pour écraser les nationnalistes kurdes et éliminer la population kurde du nord de l’Irak, le long de la frontière iranienne. Le régime de Bagdad les accusait d’aider l’Iran, alors en pleine guerre contre l’Irak.
Anfal est un mot d’origine arabe qui signifie « butin » ; il donne son titre à la huitième Sourate (chapitre) de Coran qui déclare légitime la férocité et la cruauté contre les infidèles. A l’opposé de la légende entretenue en occident au sujet de la soit-disante "laïcité" du baasisme par certains cercles d’intelectuels de gauche, les Sourates seront régulièrement utilisées par le régime irakien pour mobiliser les populations. Le régime irakien présentait les Kurdes insurgés comme des infidèles, des apostats et des incrédules. S’emparer des biens, des femmes et tuer les hommes était donc considéré comme légitime.
Pour donner un fondement religieux susceptible de légitimer sa politique, le gouvernement irakien donna ainsi le nom d’Anfal à une série d’opérations militaires menées contre les Kurdes dans six régions et à différentes périodes, entre le 23 février et le 6 septembre 1988.
« Il est temps que l’humanité connaisse (...) l’ampleur et l’échelle des crimes commis contre le peuple du Kurdistan », a déclaré le procureur général Munqith al-Faroun. « Des villages entiers ont été rasés, comme si tuer les gens ne suffisait pas », a-t-il ajouté, montrant des photos de cadavres de femmes et enfants.
Le bilan de l’opération reste encore aujourd’hui difficile à déterminer, les différentes estimations allant de 50.000 à plus de 100.000 morts. Selon l’accusation, l’armée irakienne a utilisé des armes chimiques prohibées, gaz moutarde et gaz neurotoxiques dans cette campagne de « nettoyage ethnique ». Dans la salle d’audience, une carte du nord de l’Irak a été installée, des points rouges indiquant les lieux supposés d’attaques chimiques.
Le procès laissera pourtant de côté l’attaque la plus tristement connue, celle d’Halabja en mars 1988, où quelque 5.000 personnes, selon les estimations, moururent gazées. Elle constitue un dossier séparé.
Saddam Hussein, jugé avec six co-accusés, encourt à nouveau la peine capitale, déjà requise contre lui au terme de son premier procès pour le massacre de Doujaïl, où au moins 148 chiites avaient été tués en représailles à une tentative d’assassinat contre lui en 1982. Le verdict est attendu pour le 16 octobre.
En attendant, le dictateur irakien a retrouvé la salle d’audience où il a déjà passé plusieurs mois à multiplier les éclats et contester avec virulence la légitimité d’un tribunal qu’il accuse d’être à la solde des Américains.
Premier accusé appelé à la barre, Saddam Hussein, en costume noir et chemise blanche, a refusé d’abord de décliner son identité. « Vous savez qui je suis », a-t-il lancé au président du tribunal Abdullah al-Amiri. Ce dernier lui a rappelé que c’était prévu par la loi. « C’est la loi de l’occupation », a rétorqué l’accusé, avant de se présenter comme « le président de la République et commandant en chef des forces armées ». Il a ensuite refusé de plaider innocent ou coupable.
Son principal co-accusé, le commandant supposé de l’opération, Ali Hassan al-Majid, surnommé « Ali le Chimique », a lui aussi refusé de plaider. Ali Hassan Al-Majid doit répondre des mêmes chefs que Saddam Hussein, et cinq autres anciens responsables du régime sont accusés de crimes de guerre et contre l’humanité.
Le nouveau procès verra entre 60 et 120 plaignants et témoins de l’accusation défiler devant le tribunal qui devra examiner plus de 9.000 documents. Nombre de Kurdes attendaient cette occasion, comme les chiites pour le procès de Doujaïl. Plusieurs milliers de rescapés et proches des victimes de l’opération Anfal ont manifesté lundi à Sulaimaniyeh, réclamant la mort de Saddam Hussein.
La défense a renouvelé ses accusations contre le Tribunal spécial irakien mais elle n’est pas la seule à contester la procédure : l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch, basée aux Etats-Unis, s’inquiétait la semaine dernière que l’instance ne soit pas capable de juger « équitablement et efficacement » Saddam Hussein en respectant les règles du droit pénal international.
Elle a dénoncé notamment un recours abusif aux témoignages anonymes lors des neuf mois de procédure du « chaotique et inadéquat » procès de Doujaïl, marqué aussi par l’assassinat de trois avocats de la défense.
Saddam Hussein n’était pas un un « petit » dictateur
Chris Kutschera, journaliste spécialiste du Proche Orient et co-auteur du « Le livre noir de saddam Hussein » nous a livré son sentiment sur le boucher de Bagdad.
« Saddam Hussein n’était pas un dictateur comme les autres. Il se situe quelque part entre Staline et Hitler. Il n’a pas été un « petit » dictateur comme Moubarak, Kadhafi ou Boumediene. Par le nombre de ses victimes, par l’intensité de la répression, il se situe parmi les dictateurs qui ont massacré des millions de gens. Il ne faut surtout pas le banaliser.
Ensuite, en ce qui concerne le rôle du Baas, Hazem Saghieh, un Libanais, journaliste au Hayat, y consacre un chapitre. Bien qu’il explique que l’idéologie baasiste est intellectuellement très pauvre, il explique également que la dictature en Irak n’était pas celle d’une idéologie mais d’un homme. Le Baas était pour Saddam un instrument pour arriver au pouvoir, mais dans l’exercice du pouvoir son idéologie ne compte pratiquement pas. Hazem Saghieh est un grand intellectuel et je partage son avis. Quand le Baas a pris le pouvoir, ce n’était qu’un petit groupe de quelques dizaines d’adhérents. Hitler est arrivé au pouvoir démocratiquement, le parti nazi a gagné des élections. Le cas de Saddam est inverse : un petit groupuscule de comploteurs sans aucune présence au sein de la société a réussi à s’emparer du pouvoir.
Par la suite, pour les Irakiens il est devenu indispensable d’adhérer au Baas pour rentrer dans l’administration, décrocher un contrat d’affaire... mais ce n’était pas l’idéologie du parti qui comptait. Le Baas du temps de Michel Aflak, dans les années 1940-50 avait une certaine idéologie, par la suite elle a complètement disparu.
Quand ces gens ont pris le pouvoir, l’idéologie n’était pas un moteur, le moteur était le pouvoir personnel. Qui connaît le nom du frère ou du neveu de Staline ou d’Hitler ? Leur parenté n’a pas de joué de rôle, alors que le régime de Saddam s’articulait autour de ses demi-frères Daham ou Barzan, de son gendre Hussain Kamel... Bref, une structure complètement clanique. Au début, Saddam se faisait l’apologue de l’idéologie laïque du Baas, puis avec la guerre d’Iran il a flatté l’islamisme, enfin il s’est appuyé sur les chefs tribaux quand il en a eu besoin.
(...) Mais il n’y avait pas un seul Saddam, il y avait des millions de petits Saddams, toute une clientèle pas liée par l’idéologie mais par l’argent. Il faut absolument évoquer l’élément du pétrole. La carrière de Saddam aurait été complètement différente s’il n’avait pas dirigé un état pétrolier. Suite à la crise pétrolière de 1973 qui voit le quadruplement du prix du pétrole, l’Irak devient riche alors qu’il avait auparavant des moyens assez limités. Ce pays devient d’un coup courtisé par tous les pays occidentaux qui ont besoin du pétrole et veulent lui vendre armes et usines.
Saddam et son clan ont monopolisé cette rente et l’ont utilisée pour d’une part acheter des armes et construire des palais. (...) Les gens bénéficiaient de la rente pétrolière et étaient acquis au système Saddam, pas parce qu’ils étaient bassistes ou nationalistes arabes ou islamistes dans l’âme, ils aidaient juste leur portefeuille par leur appartenance au parti qui leur garantissait une rente. Tous les fonctionnaires en ont bénéficié, ainsi que des entrepreneurs irakiens qui ont profité de l’essor du commerce et de l’industrie, tout comme des hommes d’affaires occidentaux qui se pressaient pour construire des usines clefs en mains avec des hommes d affaires irakiens . Tous ces bénéficiaires de la redistribution de la rente constituaient une clientèle acquise au régime. La rente pétrolière est un facteur très important.
(...) Indéniablement sa famille politique de formation est bien le baasisme. Mais il faut bien voir qu’Hitler, Mao, Staline ou Lénine ont écrit des ouvrages politiques. On peut les critiquer, les mettre à l’index, il n’empêche qu’ils avaient une certaine vision politique, une forme de pensée politique. Or, le Baas de Saddam n’a pas de pensée politique. Quel est l’ouvrage politique de Saddam ? Il n’y en a pas. Malgré tout, Saddam n’est pas communiste ni nassérien, mais bien baasiste. En ce qui concerne le nationalisme arabe, ce n’est pas en Irak qu’il faut chercher un leader ou une pensée. Tous les gens qui avaient une pensée autonome ont été éliminés. Les premières victimes de Saddam ont été ses plus proches alliés. Le pouvoir devait être exercé pour servir un homme et son clan, pas une idéologie. Le système baasiste irakien a été mis en place pour asseoir le pouvoir d un homme. Pour Saddam, toutes les idéologies étaient bonnes à utiliser. Il était laïc, islamiste ou tribal à chaque fois qu’il fallait. Il a commencé par abolir le pouvoir des cheikhs, les chefs de tribus. Mais quand son parti est devenu une coquille vide et qu’il a eu besoin d eux, il les a courtisés. De même, Saddam a utilisé le courant islamique. Il les a notamment flattés sur le code de la famille, le statut de la femme. »
Au kurdistan « La mort, trop douce pour Saddam Hussein »
Au Kurdistan, dans les campagnes, dans les villages bombardés et vidés de leurs occupants pendant Anfal, les habitants regardent aussi le procès de leur bourreau.
« Je ne veux pas perdre un instant de ce procès. Depuis le temps qu’on attend », affirme Mohammed Hussein Souleiman, 72 ans, un des anciens de ce village d’une centaine d’habitants.
« Ce procès est trop clément pour lui. La coalition lui a laissé la vie, mais il devrait être mort. Il ne mérite pas d’être encore vivant. On aurait préféré qu’il soit jugé ici dans le Kurdistan. Qu’on l’amène, vous allez voir le procès qu’on lui fera », poursuit le vieillard, qui précise : « Il n’y a qu’une seule sentence possible : la mort ».
Dix-sept habitants de Beshenki ont été tués pendant Anfal et dix avant le début officiel de la campagne. Une trentaine de personnes assistent lundi aux débats devant la télévision. De nombreux hommes ne sont pas allés aux champs pour ne pas rater le premier jour du procès.
Tahar Souleiman Ghazy, âgé de 60 ans, a perdu 14 membres de sa famille pendant la campagne Anfal, vivant à Beshinki ou dans d’autres villages. Son calvaire a commencé le 28 août 1988 au matin.
« Les avions sont arrivés et ont bombardé le village et les abris aux alentours. Il ont utilisé des armes chimiques. Nous avons fui vers la frontière turque », se souvient-il.
Certains habitants ont préféré se rendre aux troupes de Saddam Hussein. « On ne les a plus jamais revu », souligne M. Ghazy.
De retour trois ans plus tard, les habitants n’ont trouvé que des décombres. Le village avait été rasé. Les restes de leurs anciennes maisons, recouverts d’une timide végétation, sont encore visibles. Certaines pierres ont servi à construire leurs nouvelles demeures.
« Quand j’ai vu ça, j’ai dit +que Dieu soit témoin+. Qu’il soit juge+ », témoigne Mohammed Hussein Souleiman.
« Nous étions contents malgré tout d’être à la maison, mais depuis, nous vivons dans des conditions précaires », nuance Tahar Souleiman Ghazy.
« S’il n’y avait pas eu l’intervention étrangère après l’invasion du Koweït, je n’ai aucun doute : le Kurdistan aurait été rayé de la carte », ajoute Lezguine Khazem, 37 ans.
« Saddam Hussein a ordonné de tuer des bébés encore en train d’allaiter, des enfants, des femmes. C’est un génocide qu’il aurait commis », si on l’avait laissé faire, analyse M. Ghazy.
« Si je pouvais lui parler, je lui demanderais +Pourquoi ? Quels crimes avaient commis ces gens ?+. Je lui dirais que la mort est trop douce pour lui. Il faudrait l’enfermer dans une petite cage. Comme il a fait à des gens », réclame-t-il. « Même cela ne serait pas assez pour les crimes qu’il a commis. Pas assez pour la souffrance qu’il a infligé », regrette Tahar Souleiman Ghazy.
Sources : AP, wikipedia, inforkurdes.com, islamophile.org, Kabylienews.com
Les Chroniques du [CyberKabyle].
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