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16 août 2006

Pourquoi j’ai aimé le coup de tête de Zidane


« Et si ce n’était pas si mal que ça ? Et si en se sacrifiant, Zidane nous révélait quelque chose de plus grand ? »

La France déprimée par un hiver difficile et une économie anémique, la France aux banlieues qui flambent, la France des grèves estudiantines, la France qui a enterré l’Europe, La France de Nicolas Bavarez qui regarde sa chute sans fin, brèf la France de Chirac et les Français croyaient enfin voir le bout du tunnel.

Une victoire que personne n’attendait plus contre l’Espagne, puis une autre magnifique contre les Brésiliens, puis celle méritée contre le Portugal et cette finale qui s’annonçait belle ! Zidane qui se remet à faire des roulettes, Viera réssussité qui marque des buts. Soudain, coup de tonnerre sur un transalpin. Puis tout va très vite, Zidane expulsé, prolongations sans intérêts, Trézéguet rate son pénalty et c’est la fin...

Mais pourquoi ? Pourquoi le plus populaire des Français, selon le barometre du Journal du Dimanche, a-t-il failli à sa mission ? Et si ce n’était pas si mal que ça ? Et si en se sacrifiant Zidane nous révélait quelque chose de plus grand ?

Pourquoi, comme le dit le tube de l’été, « Zidane, il a frappé » ? Je me suis longtemps posé cette question sans pouvoir y répondre, et ce ne sont pas les déclarations politiquement correctes dans les médias qui m’ont aidé à y voir plus clair.

La théorie du « l’homme qui refuse sa déification », lancée par LE philosophe en paillette Bernard Henry Levy dans les colonnes du Wall Street Journal, ne m’a pas convaincu non plus.

« Le geste de Zinedine Zidane équivaut au "suicide" d’un "demi-dieu". Il demeurera inexpliqué, selon lui, comme tous les suicides ordinaires ».

« Rien ne saurait expliquer un tel geste, aucune provocation, aucune remarque méchante. Non. La vérité est que peut-être ce n’est pas si facile de vivre dans la peau d’une icône, d’un demi-dieu, d’un héros, d’une légende ».

« La seule explication est qu’il y aurait eu en cet homme une sorte de détente, une ultime révolte intérieure contre la parabole vivante, la statue stupide, le monument béatifié qu’il était devenu au cours des mois passés ».

« Achille avait son talon. Zidane aura eu le sien - cette tête magnifique et rebelle qui le ramena, soudain, parmi ses frères humains ».

De plus, j’ajouterais que BHL ne connait rien a la mythologie grecque car le « demi-dieu », c’est précisément celui qui, en commettant des excès incompréhensibles, transfome son existence merveilleuse en destinée tragique.

Pas plus que les diverses analyses dans les magazines bourgeois-bohêmes telle que celle de JD Beauvallet et Pierre Siankowski des Inrocks (numéro 555 du 18 juillet, page 12) :

« Ce qu’il nous reste, à tous, pourtant, c’est ce geste. Sublime, forcément sublime. Zidane restera pour toujours l’homme des coups de tête imprévus des finales de coupe du monde (...) »

« C’est ce moment précis où le footballeur devient homme, cesse d’avaler des couleuvres avec une langue de bois pour répondre, loin des règles puériles et humiliantes de ce football perverti par ses us et coutumes dégradants (ta mère ceci, ta fille cela, franchement...) avec son sang, ses tripes. Zidane était sur le point de sortir de cette prison, mais a décidé d’avancer de 10 minutes sa libération (...) »

« (...) Zidane tape à l’oesophage pour lui faire ravaler ses mots, son orgueuil, son arrogance brutale. C’est un geste merveilleux et un sacrifice pour demain, pour que cessent peut-être ces insultes indignes, ce racisme cancéreux que les joueurs et entraîneurs se balancent à la gueule dans cette zone de non-droit que restent les terrains. Qu’un joueur de l’importance de Zidane choisisse de ramener la loi - même celle de la jungle, c’est un début - sur le terrain, qu’il s’immole pour que le foot retrouve une dimension humaine, mérite d’être salué, encouragé - et non condamné avec la rigueur jésuite d’un récent édito moralisateur de l’Equipe ».

Non, il y a décidemment quelque chose qui me plaisait dans ce geste. Quelque chose qui me faisait apprécier notre cher Zizou (inter)national encore et davantage. Quoi ? La défense de l’honneur, de la mère ou de la sœur insultées ? Pas seulement, même si l’attachement à la mère et à sa sacralité est un élément important pour nous autres kabyles. Que valent les provocations de Materazzi pour justifier une réaction si excessive ? N’était-il pas mieux de l’humilier en lui infligeant une belle défaite sportive en finale de coupe du monde ? Très probablement...

Non, ce qui m’a plu dans ce geste, c’est qu’il révèle sa nature éminemment Kabyle. En effet, cela m’a rappelé les propos de l’ethnopsychiatre Kabyle Hamid Salmi au sujet de la vengeance dans la société kabyle.

« La vengeance, dans la société kabyle, est inséparable de cette question de l’honneur. L’honneur d’un homme kabyle se distribue entre deux pôles : un honneur actif, le "nif" que j’appellerai le point d’honneur, et un honneur passif que les Kabyles appellent "El horma" et qui désigne à la fois le sacré et l’interdit. Le registre de l’honneur actif est de l’ordre du comportement agressif simple, de la riposte à un défi ou à un outrage mettant en cause l’honneur, tandis que le pôle passif concerne le domaine d’honneur de la personne : ses femmes, ses terres et ses biens ».

« Le point d’honneur, le "nif" désigne littéralement le nez : appendice entièrement tourné vers le dehors. L’homme du nif est cet homme qui se tient à la frontière d’un dedans par rapport à un dehors. On peut rapprocher cette position de celle des enfants de banlieues qui se tiennent à la frontière en disant : "si tu veux entrer ici, il va falloir d’abord que tu me passes sur le corps". Les combattants lors de la conquête de la Kabylie - durant la colonisation en 1857- faisaient de même. Pour s’obliger à défendre leur territoire, ils avaient creusé des tranchées à la frontière du village (des "cercles de sang") et s’étaient attachés aux genoux avec des cordes (les femmes se postaient à l’arrière, jetant du henné sur celui qui tenterait de s’enfuir). Et en effet, on devait passer sur le corps de ces hommes pour prendre le village ».

« Le point d’honneur, le "nif" définit le domaine des Hommes : l’assemblée du village, la mosquée, les champs cultivés, le marché, le monde ouvert de la vie publique et les activités sociales et politiques ».

Être un Homme, c’est ce que dit Zidane, avec une naïveté confondante lors de son interview sur Canal+ : « Je suis un Homme avant tout » avant d’ajouter « J’aurai préféré prendre un coup de poing dans la gueule (sic) que d’entendre ça » et de conclure « je ne regrette pas ». Regretter son geste c’est regretter d’être Argaz (un homme en Kabyle). Quand il dit « mon geste n’est pas pardonnable », pardonner de quoi ? De se comporter en Homme ?

Non, ce que j’ai aimé dans ce geste, c’est que le kabyle qui sommeillait en Zidane soudain s’est réveillé et a pris le dessus, dans une finale de coupe du monde de football, un événement planétaire sur-préparé et sur-médiatisé, où tout est anticipé, cadré et millimétré, où les multiples contrats de sponsoring et de couverture médiatique dictent chaque seconde du comportement de chaque joueur, entraîneur et arbitre, notre grand Zidane, celui qui invente des gestes techniques qui n’existent pas, celui qui crée des phases de jeu que ses adversaires n’imaginaient pas, celui qui ose frapper un penalty tout en finesse et sans puissance en finale de coupe du monde face au redouté Buffon. Le grand Zidane, libre, intègre et fier, décide, en son âme et conscience, que pour lui et pour lui seul, à ce moment précis, trop c’est trop. Ces mots sont intolérables et lui font mal, et que s’il ne réagit pas, sa finale sera gâchée et sa conscience troublée. Tant pis pour les 2,5 milliards de téléspectateurs, tant pis pour Sepp Blatter, tant pis pour la FIFA et Platini, tant pis pour sa fin de carrière...

Tout comme les jeunes kabyles lors du Printemps Noir en 2001, Zidane n’est pas ce qu’on attend de lui, un français modèle comme le veulent les médias de l’hexagone ou un algérien qui parle l’arabe qui agite un drapeau turco-ottoman comme en rêve la demi-portion de Bouteflika. Non Zidane est kabyle, libre et fier. Et tout comme les jeunes kabyles du Printemps Noir il a décidé que sur ce coup là, on avait dépassé les bornes. Et peu importes les conséquences futures, seul compte le présent « je suis kabyle » non pas parce que je dis que je le suis mais parce que je me comporte en kabyle.

Le grand écrivain kabyle, Jean Amrouche disait, dans son livre « L’eternel Jugurtha », « dans le cœur de chaque kabyle il y a un Jugurtha qui sommeille ». Il avait tort. En fait il aurait dû dire « dans le cœur de chaque Kabyle, s’éveille un Jugurtha ».

Nous voulons la patrie de nos pères
la langue de nos pères
la mélodie de nos songes et de nos chants
sur nos berceaux et sur nos tombes
Nous ne voulons plus errer en exil
dans le présent sans mémoire et sans avenir.

Jean Amrouche



La Chronique du [CyberKabyle].

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