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11 août 2006

L’Algérie et la Russie vont-elles prendre l’Europe du gaz en otage ?


Alors que Russie et Algérie, premiers exportateurs de gaz vers l’Europe, viennent de signer un accord de partenariat (comme nous vous l’avions déjà annoncé), provoquant de nombreuses réactions d’inquiétude en Europe et notamment en Italie, plusieurs analystes estiment que les deux pays peuvent ainsi bâtir les prémices d’une OPEP du gaz. La France appelle quant à elle à une « grande vigilance ». Poutine et Bouteflika doivent être terrifiés par cet avertissement.

Pour rappel, Gazprom et Sonatrach viennent de parapher des protocoles d’accord prévoyant de coopérer dans « l’exploration, l’extraction, le transport d’hydrocarbures, le développement d’infrastructures gazières, le traitement et la vente de gaz » en Russie, en Algérie ou dans des pays tiers.

Pour l’Italie, un pays dépourvu d’énergie nucléaire et qui est très dépendant du gaz russe et algérien, le protocole annoncé vendredi équivaut à créer une « Opep du gaz » capable d’imposer ses prix et ses quantités au marché. Le premier ministre italien, Romano Prodi, redoute la création d’un cartel et il a demandé à Bruxelles d’intervenir. De son côté, le ministre du développement économique, Piuerluigi Bersani, « espère que l’accord va servir de signal d’alarme à Rome, Bruxelles et dans toutes les capitales européennes ». Un porte-parole de la Commission européenne a indiqué samedi que les commissaires vont « étudier toutes les implications possibles de l’accord ».

La ministre française déléguée au Commerce extérieur Christine Lagarde a plaidé jeudi pour une « grande vigilance » à la suite du rapprochement annoncé des compagnies russe Gazprom et algérienne Sonatrach, deux des principaux fournisseurs d’hydrocarbures de la France. « Tout mouvement de consolidation dans le secteur de la distribution nous interpelle et nous amène à une grande vigilance quant au respect du droit de la concurrence », a-t-elle répondu à une question à ce sujet lors d’une conférence de presse. « La politique énergétique française continue d’être fondée sur la diversification des sources » d’approvisionnement, a-t-elle souligné, insistant notamment sur le nucléaire. Les principaux fournisseurs d’hydrocarbures de la France sont dans l’ordre la Russie, la Norvège et l’Algérie.

Les experts rassurent

L’Agence internationale de l’Energie (AIE) appelle à « surveiller » l’alliance entre le russe Gazprom et l’algérien Sonatrach, les deux principaux fournisseurs de gaz de l’Europe, mais ne table pas sur une flambée des prix, selon son directeur adjoint cité vendredi dans Libération. Tout en qualifiant ce rapprochement de « logique », William Ramsay a jugé qu’il « faut surveiller la suite ». « Quand les deux plus gros vendeurs se parlent, le consommateur a intérêt à faire attention à ce à ce qu’ils se disent », a-t-il ajouté. Gazprom et Sonatrach représentent un tiers de la consommation des 25, rappelle le quotidien. M. Ramsay a toutefois estimé que « l’influence de l’accord sur les prix du gaz sera limitée » car ceux-ci sont « fixés de façon rigide et indexés sur les cours du pétrole ». « Le danger, c’est que Gazprom a une stratégie bien précise pour pénétrer sur le marché européen, et que l’UE se laisse saucissonner en signant des accords bilatéraux », a-t-il jugé. « Les Européens feraient bien de réfléchir à une politique extérieure énergétique » plutôt que de favoriser chacun « son champion national », a conclu M. Ramsay.

Parallèlement l’entreprise d’état algérienne Sonatrach a signé vendredi des protocoles d’accord avec Loukoïl et Gazprom en vue d’une coopération dans les hydrocarbures. Les documents ont été signés à l’occasion d’une visite cette semaine à Moscou du ministre algérien de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, au cours de laquelle il a rencontré son homologue russe Viktor Khristenko ainsi que les dirigeants de Loukoïl, premier producteur russe de pétrole, et du géant gazier Gazprom. Daniel Simmons, expert en gaz naturel à l’Agence internationale de l’énergie (AIE), fait remarquer que la gestion d’un cartel du gaz serait une opération « incroyablement difficile » en raison de la multiplicité des types de gaz naturel et des moyens de transport. Et même si la menace se concrétisait, les Européens pourraient facilement se rabattre sur le nucléaire. « Donc il ne faut pas la regarder de la même façon qu’un cartel pétrolier », estime-t-il.

« Ce qui a le plus attiré l’attention en Europe, c’est le mot commercialisation, c’est-à-dire le risque de cartel. Jusqu’à présent Gazprom et Sonatrach sont des concurrents sur le marché européen », relève Francis Perrin, rédacteur en chef de la revue spécialisée Pétrole et Gaz Arabes. Mais peu de détails ont filtré et rien n’indique pour l’instant que les deux pays fomentent via leurs entreprises la création d’une « Opep du gaz », à rapprocher de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), estime l’expert. Selon lui, une chose est sûre, c’est qu’une bonne partie de l’accord sera consacrée au gaz naturel liquéfié (GNL, transporté par bateau, ndlr), domaine dans lequel l’Algérie est un acteur historique et où Gazprom entend devenir un poids lourd. « Pour le reste, ils sont en train de discuter sur des coopérations possibles dans le gaz, ce qui balaie l’exploration, le développement, la production, la vente, etc. Cela veut dire qu’on parle de tout et peut-être de rien », souligne M. Perrin, notant que l’Algérie signe fréquemment des accords de ce type sans qu’ils débouchent forcément sur des projets industriels concrets. De plus, ces deux pays n’ont pas forcément intérêt à effrayer leur principal client, l’Europe, s’ils veulent éviter que la direction générale de la Concurrence à Bruxelles ne « déterre la hache de guerre », note-t-il.

Les détails du protocole

Gazprom et le ministre algérien ont évoqué en particulier une coopération dans le gaz naturel liquéfié (GNL). La participation de la Sonatrach au projet de GNL baltique, une usine de liquéfaction de gaz, est l’une des possibilités évoquées, précise en effet Gazprom. Cette usine, qui représente des investissements de plus d’un milliard de dollars, devrait être construite en bordure du golfe de Finlande. La participation des groupes canadien PetroCanada et britannique BP a aussi été annoncée pour ce projet de liquéfaction de gaz, une technologie que ne maîtrise pas encore le géant russe.

Le protocole d’accord entre Gazprom et Sonatrach envisage une vaste coopération dans « l’exploration, l’extraction, le transport d’hydrocarbures, le développement d’infrastructures gazières, le traitement et la vente de gaz » en Russie, en Algérie ou dans des pays tiers, ainsi que de possibles « échanges d’actifs », selon Gazprom. Loukoïl envisage de son côté de collaborer avec la Sonatrach dans l’exploration et le développement de gisements gaziers et pétroliers. L’Algérie « est l’un des pays prioritaires »" pour le développement de Loukoïl, qui a commencé une expansion dynamique à l’international, relève le groupe russe qui prévoit d’ouvrir une représentation à Alger.

La Russie, qui dispose des premières réserves mondiales de gaz, est le premier pays producteur de gaz et le deuxième de pétrole derrière l’Arabie saoudite. Gazprom a extrait 548 milliards de m3 de gaz en 2005, soit environ 85% du gaz extrait dans le pays. La Sonatrach contrôle l’essentiel du gaz extrait en Algérie et sa vente. Plus grosse entreprise africains, elle a extrait en 2005 85 milliards de m3 de gaz naturel dont 21,2 milliards ont été vendus sur le marché algérien et le reste exporté par gazoduc ou sous forme de gaz liquéfié au Maghreb, en Europe et jusqu’en Corée du Sud.

Toutes ces grandes manœuvres soulèvent une question : « Où va tout cet argent ? ». Les millions d’algériens en quête de visas aimeraient bien le savoir.


Les Chroniques du [CyberKabyle].

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