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29 mai 2006

Mali : vers une nouvelle rebellion Touareg ?

Plusieurs centaines d'ex-rebelles touaregs intégrés dans l'armée ou en rupture de ban ont repris le chemin du maquis à la suite de la prise mardi de deux camps militaires maliens vidés de leurs armes et de leurs munitions à Kidal (nord-est).

Les premières manifestations de cette nouvelle rébellion touarègue remontent à la mi-février lorsque le lieutenant-colonel Hassan Fagaga, un ex-combattant rebelle touareg incorporé à l'armée, a repris le chemin du maquis avec une poignée d'hommes armés. Il exigeait notamment des mesures en faveur de la région de Kidal et des ex-rebelles intégrés dans l'armée à la suite des accords de paix de 1996.

Iyad Ag Agali, une figure emblématique de la rébellion touarègue des années 90, s'est rallié ces derniers jours à la nouvelle rébellion et en est devenu « le chef » selon Erlass Ag Aguida, un des porte-parole du mouvement.

La nouvelle rébellion se constitue en effet autour des anciens membres du Mouvement populaire de l'Azawad (MPA, ex-rébellion touarègue), dont M. Agali était le chef, et plusieurs dizaines d'anciens combattants du MPA, intégrés à l'armée régulière, ont déserté pour rejoindre les forces rebelles ces derniers jours.

Dans un document intitulé « Pour un Statut Particulier de la région de Kidal », tout en apportant leur soutien au pacte national signé le 11 avril 1992 entre le gouvernement du Mali et les mouvements et fronts unifiés de l’Azawad, les insurgés attirent « l’attention des autorités sur les spécificités de la région de Kidal ».

Ce document présente tous les aspects de la gestion et de la vie économique, administrative. Ainsi il est rappelé que Kidal est la région « la plus pauvre du Mali avec un taux pauvreté de 92% », qu'elle est « la plus enclavée elle n'a aucun accès fluvial, ni goudron ni aéroport », qu'elle est « située dans une zone entièrement désertique » et qu'elle est « la seule région à avoir subi de plein fouet les conséquences de deux grandes sécheresses (1973 et 1984) et deux rébellions (1963 et 1990) ».

Ce document est assorti de propositions. La problématique de la self-gouvernance en est la pricipale: comment développer sinon administrer les régions nomades de la région de Kidal, « après un lourd cumul de retards, en gardant pour seul modèle le mode de vie sédentaire qui reste par essence l’opposé du mode de vie nomade? ».

Selon le document, « il importe d’adopter une stratégie pragmatique, flexible, respectueuse des us et coutumes des populations autochtones dans le cadre institutionnel réglementé » par une législation adaptée aux conditions de ceux qui sont concernés.

« Entre l’intransigeance sur la souveraineté nationale par laquelle pourrait être tenté l’Etat malien et la volonté de l’affirmation de l’identité des touareg de la région de Kidal, il nous semble que seul un statut particulier dûment réfléchi, accompagné d’une réelle volonté nationale de résorber le retard accumulé par les populations autochtones et le déséquilibre de développement entre la région de Kidal et le reste du pays, pourra intégrer la minorité touareg dans la construction d’un état unitaire, moderne et démocratique », conclut le document.


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Lire l'intégralité des revendications des Touaregs de kidal.

Pour un Statut Particulier de la région de Kidal


Désireux d'aboutir à une solution pacifique négociée, juste et définitive des différents problèmes qui surgissent de façon récurrente dans la région de Kidal, une solution qui tienne compte des diversités culturelles, géographiques et socio-économiques qui existent dans la République du Mali et, en même temps, une solution qui tende à la consolidation de l'unité et de l'intégrité nationales.

Réaffirmant leur attachement à la Constitution de la République du Mali en date du 12 janvier 1992,

Soulignant les dispositions de la Constitution de la République du Mali par lesquelles elle souscrit à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 et à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du 27 juin 1981, et proclame sa détermination à défendre les droits de la femme et de l'enfant ainsi que la diversité culturelle et linguistique de la Communauté Nationale,

Considérant le pacte national signé le 11 avril 1992 entre le Gouvernement du Mali et les Mouvements et Fronts Unifiés de l'Azawad et ses difficultés d'application,

Nous attirons l'attention des autorités sur les spécificités de la région de Kidal:

La Région de Kidal

La région de Kidal s'étend sur une superficie de 260 000 km2 et occupe 21.27% de la superficie totale du pays.
. C'est la région la plus pauvre du Mali avec un taux pauvreté de 92%
. C'est la moins peuplée du pays et est occupée par une minorité.
. Elle est la plus enclavée elle n'a aucun accès fluvial, ni goudron ni aéroport.

. Elle est située dans une zone entièrement désertique
. Elle est la dernière née des régions du Mali (1993)
. Elle est la seule région à avoir subi de plein fouet les conséquences de deux grandes sécheresses (1973 et 1984) et deux rébellions (1963 et 1990)
. Elle est la seule à vivre exclusivement de l'élevage
. Elle est la plus éloignée du centre de décisions nationales (1600 Km).

1. Le pouvoir traditionnel

Nous avons toujours eu un pouvoir traditionnel fort qui gère la région de façon consensuelle. Il est important que l'état le reconnaisse et qu'il mette à sa disposition les moyens nécessaires à l'exercice de son autorité sur son territoire.

2. De l'administration

La bonne gouvernance ne doit pas être considérée que sous l’angle de la finalité économique mais aussi sous l’angle social. « La réduction des inégalités devrait être aussi un élément constitutif de la bonne gouvernance ». Afin de réparer ces inégalités, les administrations comme celle des Etats Unis d’Amérique ont procédé à « la discrimination positive » des minorités touchées, et d’autres comme la France ont adopté « un statut particulier » pour les régions concernées.

La marginalisation des nomades est ressentie comme un désintéressement de l’administration à leur sort. Les administrateurs sont dans la plupart des cadres sédentaires et ne se rendent pas chez les nomades, ces derniers méfiants évitent l’administration. Il est difficile d’administrer les nomades à partir d’un bureau. Faire chercher les nomades quand on a besoin d’eux n’est pas la solution, un proverbe touareg dit : “ awa tarhed itart awa wartarhed soutart ”. Pourquoi ne pas insérer dans les tâches mensuelles des administrateurs une tournée obligatoire dans les campements d’au moins quelques jours pour mieux connaître le territoire et les populations qu’ils administrent ?

Les administrateurs civils sont formés pour administrer les sédentaires et non les nomades donc les autochtones sont mieux placés pour comprendre, appuyer et conseiller les nomades. Les critères de diplômes doivent être considérés au même titre que ceux de l'expérience dans le milieu.

Aussi la représentation des touaregs de la région de Kidal, en tant que minorité visible et peuple autochtone, dans le gouvernement et tous ses démembrements, garantie par la constitution de façon irréversible, est une revendication légitime.

3. Système électoral

Faut-il repenser le système électoral en zone nomade ? Il est difficile d'accéder aux nomades, par leurs occupations, le système classique d'élections ne leur est pas accessible. Les élections en milieu nomade impliquent plus de charges qu'en milieu sédentaire. Les bureaux de vote itinérants supprimés lors des dernières élections législatives de 2002 par la cour constitutionnelle sont très adaptés à la région et au mode de vie nomade.

4. Du développement

La région de Kidal n'a pas toujours bénéficié d'investissements à la mesure de sa spécificité; ni de priorité dans l'allocation des ressources. La politique nationale d'investissement héritée de la colonisation a continué de privilégier et de fonder la localisation des activités économiques sur le potentiel naturel, d'où une tendance à investir dans les zones à fortes potentialités électorales du sud.

Lors de la table ronde des bailleurs de fonds de Tombouctou, il a été fait le constat suivant :

- * Aujourd'hui il est reconnu qu'une des causes fondamentales de la rébellion au Nord est la mauvaise gouvernance et l'insuffisance des actions de développement dans ces régions considérées comme déshéritées.

* De sorte qu'aujourd'hui, à la problématique immédiate de l'éradication des causes profondes du conflit du Nord, s'ajoute celle, plus latente, de la réhabilitation du développement économique de ces régions. Autrement formulée, cette problématique a une double nature:

- celle, économique d'une meilleure coordination entre partenaires en vue de la relance économique des régions du Nord;

- celle, institutionnelle, de la recherche de formules adaptées de programmation et de financement des actions de réhabilitation de développement dans le cadre de la décentralisation.

Pour les planificateurs centraux, en disposant d’une enveloppe financière qui peut sauver soit 100 enfants d’un village ou 20 enfants nomades, la décision à prendre va pour le grand nombre. Cependant, la faible densité, les longues distances entre les différents campements et leur dispersion font qu’il est difficile de gérer une fraction nomade comme un village, sans tenir compte des spécificités et des particularités du mode de vie nomade dans le domaine de la santé publique et de l’éducation. Dans la région de Kidal, jusqu’à présent, certaines personnes vulnérables font plus de 200 kilomètres pour recevoir les premiers soins.

La soif tue des citoyens chaque année dans la région et la barrique d'eau de 200l coûte 1000FCFA en moyenne dans la ville de Kidal.

La quasi-totalité des produits de première nécessité nous viennent de façon informelle du pays voisin, avec lequel aucune garantie par les accords trans- frontaliers n'est assurée.

La rentabilité économique est aussi importante que la rentabilité sociale car l’exclusion est la source de conflits.

- Pastoralisme

Au Mali le pastoralisme, victime de la législation est sans cesse repoussé par l’agriculture vers des zones peu productives. Il est couramment admis que toute terre non cultivée est vacante de sorte que pour peu qu’un agriculteur plante quelques tiges de mil quelque part, la terre lui revient et il pourra y exercer un droit foncier. Quant à l’éleveur, ses territoires de pâturage ainsi que celles de ses ancêtres ne lui étaient reconnus par aucun texte juridique.

Quelque soit la richesse d'un éleveur, son cheptel ne lui sert d'aucune garantie contrairement au cultivateur pour son lopin de terre, au niveau des institutions financières.

Pourquoi ne pas créer des secteurs d’éleveurs, au niveau de chaque commune rurale nomade, reconnus par la législation et consacrant l’appropriation de l’espace pastorale par ses utilisateurs ? Ces secteurs pourront être dirigés dans la plus part des cas par des chefs de fractions influents, ce qui fera le compromis entre l’organisation traditionnelle autochtone de la société et la nécessité moderne de l’exigence démocratique et de développement décentralisé.

- Education et Culture

Le système éducatif national n'est pas adapté au mode de vie et aux besoins des populations de la région. De religion musulmane et de culture arabo-berbère , les touareg préfèrent être scolarisés dans les trois langues ( Français, arabe et tamazight). Jusqu'à présent l'handicap majeur pour la scolarisation des enfants est le manque d'éducation islamique à l'école et la séparation des garçons et des filles.

Le Tifinagh est l'écriture authentique des touaregs. Il est regrettable que le pays s'investi dans de vastes projets d'alphabétisation fonctionnelle utilisant les caractères latins au bénéfice d'un peuple qui possède sa propre écriture! “ Il est certain qu'une telle politique ne fera que contribuer, à long terme au déclin et à la disparition du Tifinagh ”.

La promotion de la culture régionale n'est pas faite par l'état à travers ses médias. Les populations ne font que subir les agressions des autres cultures.

- Santé

La région est la seule à n'avoir aucune structure sanitaire fiable (hôpital, laboratoire, pharmacie…). Elle ne dispose que de 4 centres de santé, c'est-à-dire 1 pour 60 000 km2. Le système de santé doit être adapté au mode de vie des populations par des équipes mobiles d'intervention en milieu nomade.

- Emploi

Le principal malaise ressenti par les populations est le chômage. Environ 70% des jeunes sont en chômage. Les conditions de recrutement sont identiques pour le nord et pour le sud, sans tenir compte du retard socio-éducatif accumulé par la région depuis plus de 40 ans.

5. De la sécurité

Les services techniques classiques chargés de la sécurité intérieure ont montré leurs limites opérationnelles dans les zones nomades. De sorte que la nature ayant horreur du vide, certains leaders ont prouvé leur efficacité dans des contrés d'accès difficile et éloignés. Pourquoi ne pas intégrer ces ressources humaines disponibles et responsables dans le dispositif sécuritaire de la région en leur donnant les moyens matériels et financiers pour mener à bien leurs missions?

Le système sécuritaire au niveau de la région est à reformuler, compte tenu de l'étendue du territoire, la dispersion des populations et la porosité des frontières.

6. De la Justice

Les différents litiges sont réglés par le qadi et en dernier recours l'autorité traditionnelle selon la jurisprudence islamique.

7. Conclusion

Pendant la dernière décennie, le Mali a connu des grands changements dans son environnement sociopolitique et économique dus à des réformes tendant à une plus large vision de la démocratie, de la décentralisation et une réflexion qui se veut participative pour l’élaboration d’une stratégie nationale de développement durable. Ainsi la pauvreté, la santé, l’éducation et la justice ont été autant de thèmes qui impliquent désormais des acteurs à la base pour une gestion saine et équitable des affaires publiques. La cheville ouvrière de toute cette chaîne demeure les collectivités territoriales décentralisées qu’il faut absolument préparer aux rôles qui leurs sont dévolus et renforcer leurs capacités à travers une société civile forte pour réussir la mise en œuvre de tout le processus de décentralisation et du développement.

Dans ce contexte comment développer sinon administrer les régions nomades de la région de Kidal, après un lourd cumul de retards, en gardant pour seul modèle le mode de vie sédentaire qui reste par essence l’opposé du mode de vie nomade?

Ce faisant, il importe d’adopter une stratégie pragmatique, flexible, respectueuse des us et coutumes des populations autochtones dans le cadre institutionnel réglementé par une législation adaptée aux conditions de ceux qui sont concernés.

Entre l'intransigeance sur la souveraineté nationale par laquelle pourrait être tenté l'état malien et la volonté de l'affirmation de l'indenté des touareg de la région de Kidal, il nous semble que seul un statut particulier dûment réfléchi, accompagné d’une réelle volonté nationale de résorber le retard accumulé par les populations autochtones et le déséquilibre de développement entre la région de Kidal et le reste du pays, pourra intégrer la minorité touareg dans la construction d’un état unitaire, moderne et démocratique.



[1] Fith forum of gouvernence in Africa, May 23 – 25, 2006, Maputo, Mozambique. "the Malian experience in combating poverty and conflict management"

[2] Les non-dits de la bonne gouvernance, Haut Conseil de la Coopération Internationale, éditions Karthala, 2001.

[3] Ce que tu veux, cherche-le, ce dont tu n’as pas besoin fait –le chercher.

[4] Pour voter, un électeur sédentaire coûte 200FCFA et un électeur nomade coûte 5000FCFA.

[5] Stratégie pour un Développement Humain Durable (DHD) dans les régions Nord- Mali. Gouvernement - PNUD. Mars 1998.

[6] Ibrahim LITNY in " Systèmes Educatifs et société Touarègue, Les Kel Adagh du Nord de Mali" Mémoire de diplôme EHSS 1992.

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